Les Artistes sélectionnés

72e édition

Le 72e festival Jeune Création se tiendra du 30 avril au 15 mai 2022 dans l’espace de la Chaufferie à Romainville, dans la Fondation Fiminco.

La commission de sélection est composée majoritairement d’artistes bénévoles et d’une personnalité invitée, pour la quatrième année consécutive. Chaque membre du jury a consulté et voté l’ensemble des dossiers de candidatures – cette année 1210 – et les délibérations finales entre les membres de la commissions se sont déroulées du 14 au 18 avril 2021 dans le Val-d’Oise, à Piscop.

Pour le 72e festival Jeune Création, la commission de sélection était composée de 10 artistes des éditions précédentes : Chedly Atallah, Carmen Ayala, Benoit Blanchard, Nathalie Genot, Hélène Gugenheim, Shani Ha, Tilhenn Klapper, Vincent Lemaire, Norman Nedellec, Samuel Trenquier ; et d’une personnalité invitée, Françoise Docquiert.

Quelques chiffres

48 artistes : 22 femmes et 26 hommes ont été retenus parmi les 1210 dossiers de candidatures reçues.

La plus jeune artiste est née en 1998 et les plus âgés en 1977.

15 nationalités étrangères sont représentées : Argentine, Canada, Chili, Chine, Corée du Sud, Espagne, Grèce, Italie, Maroc, Japon, Suède, Suisse, Syrie, Taiwan, USA.

Les sélectionnés

Aram Abbas

Zer Zer and the divin divan, 2018, Installation / Performance

Par Laureline Leroux

L’installation d’Aram Abbas se caractérise par sa multidisciplinarité : musique, vidéo et sculpture se joignent et s’accompagnent afin de former Sky Every Day, Night Again Again, une oeuvre conçue en collaboration avec Félise de Conflans, membre de leur duo Batmoon. De ce nom découle la sculpture proposée par l’artiste représentant une chauvesouris et une lune s’enlaçant, accompagnée d’un écran diffusant une « vidéo-album » de leur EP Nine Lives. Le regardeur est ainsi immergé à la fois de manière sonore et visuelle. Dans cette oeuvre, il étudie la dimension scénique d’une composition musicale, revendiquant cette dernière comme médium artistique à part entière. Les univers des deux membres du duo s’additionnent et forment un monde désolé où deux personnages semblent se battre et/ou se réfugient pour continuer à rêver. Se plaçant dans la continuité de ses travaux précédents, Aram Abbas explore de manière poétique et mélodique un exil symbolique et personnel, ainsi que le lien entre l’artiste plasticien et le musicien.

aram-abbas albums

Morgane Baffier

Comment vivre dans un monde harmonieux, 2021, Conférence performée, 6 minutes

Par Laureline Leroux

La crise, nous la traversons tous les jours de manière collective au travers de la politique, de l’économie, de la santé, mais aussi de manière personnelle : la crise de jalousie, d’angoisse, etc. Morgane Baffier propose de confronter ces différentes situations de crise et de se réapproprier le terme. Illustrant son discours par des dessins diffusés à l’aide d’un rétroprojecteur, de visuels vidéo-projetés et divers objets qu’elle fait communiquer les uns avec les autres afin de lier ses idées, l’artiste nous entraîne dans une conférence performée. Son propos est composé d’informations issues de recherches qu’elle vulgarise et simplifie au point d’en perdre leur vérité. En jouant avec la figure d’autorité qu’elle représente en tant que conférencière, plaçant au même niveau des références réelles et absurdes, savantes et populaires, M. Baffier interroge sur un ton humoristique et absurde le poids des mots et l’accessibilité des informations.

Instagram : @morganebaffier

Olivier Bémer

FOMO, 2021, Installation multimédia, Smartphones Androids, supports flexibles, programmation php, API twitter, Dimensions variables

Par Laureline Leroux

Comment les nouveaux moyens de représentations issus des nouvelles technologies ont-ils transformé notre rapport aux autres et à nous-même? C’est ce que le travail d’Olivier Bémer interroge. Dans cette installation, l’artiste part d’un mug scanné en trois dimensions afin d’en faire une copie numérique, qu’il imprime en 3D. A la manière de photocopies, l’opération est répétée jusqu’à en épuiser la forme originelle. Est entamé un processus d’archéologie à l’envers, au travers d’un procédé d’aller-retours entre objet virtuel et matériel. Les copies matérielles du même mug sont alors présentées telle une série de sculptures, accompagnées par une vidéo dans laquelle un discours promotionnel absurde est adjoint à chaque copie dégradée, les plaçant en concurrence les unes avec les autres. Chaque itération, en cherchant à s’individualiser artificiellement, perd le lien entre sa forme et son utilité.

olivierbemer.eu

Max Blotas

(e)spirits – (e)sprits, 2021, Capsule temporelle, vin rouge, boisson énergisante (Monster Energy), micro-organismes, caméra, capteurs numériques, écran LCD, colle, diamant en plastique, pompes, microcontrôleur, fils électriques, tubes PVC – Vidéo en direct

Par Emma Spencer

L’installation de Max Blotas nous plonge dans un univers parallèle où l’Humain n’est plus acteur mais spectateur d’un monde où le numérique et
le biologique vivent conjointement. L’artiste nous dissimule dans une structure fissurée en pierre composite des écosystèmes vivants pour les
dévoiler sous forme de vidéo en direct à quelques mètres sur des écrans. L’installation nous fait perdre toute notion du temps qui s’écoule. Au
rythme des bruits des moteurs, l’artiste met en scène la symbiose entre la technologie et le vivant sous la forme d’un corps à part entière.
L’ensemble des éléments sont minutieusement organisés, reliés par des câbles électriques et des échanges de fluides pour créer des écosystèmes
hybrides, en tension les uns avec les autres. Entre fiction et réalité, il essaye de rendre palpable les phénomènes invisibles en suscitant la
curiosité des visiteurs et faisant appel à leur imaginaire.

maxblotas.com

Kamil Bouzoubaa-Grivel

Sans Titre, 2021, Stylo feutre à base d’huile sur papier couché, 120 x 87,7 cm

Par Farah Maakel

Kamil Bouzoubaa-Grivel dessine sur son téléphone et retranscrit la profondeur des lignes sur de grands formats en jouant des textures et de leurs reliefs. Sa recherche formelle s’inspire de la typographie, de l’histoire du dessin et des scribbles (gribouillis). Tout en usant d’une
gestuelle lâchée, il transpose ses lignes de manière extrêmement précise, et nourrit un doute sur la technique utilisée. La temporalité longue dans la réalisation de ses dessins, font que ses oeuvres sont souvent perçues comme des impressions générées par ordinateur. L’artiste invite à une lecture rythmée de ses dessins, au même titre qu’une nappe sonore, où sa main se substitue au processus de création numérique. Il humanise la machine en soulignant ses imperfections, ses bugs et met en relation la chorégraphie programmée de ses dessins et la mécanique des outils qu’il crée. Animé par le paradoxe entre la précision et l’aléatoire, la maîtrise et le chaos, l’artiste nous offre une expérience esthétique à plusieurs échelles.

kamilbouzoubaagrivel.com

Camille Chastang

Les grands hommes de science…, 2021, Dessins à l’encre de chine + extraits de texte (L’art de la botanique et
Le génie lesbien d’Alice Coffin), A5b

Par Anaïs Dolz

Tout part d’une jaquette de livre dont le résumé indique une découverte « des hommes de science », tandis que la couverture est une aquarelle de la naturaliste-exploratrice Anna Maria Sibylla Merian. Ce contraste est une preuve que l’écriture a un rôle considérable dans l’invisibilisation des femmes, qui révèle la manière de pensée d’un société genrée jusque dans les techniques et images. Ainsi, Camille Chastang tente de réconcilier les arts décoratifs et les beaux-arts, tout en questionnant la hiérarchie des genres. Ici, elle utilise la fleur, souvent associée au féminin et utilisée dans la création de motifs décoratifs. Elle revalorise également le dessin, communément vu comme un sous-genre des Beaux-Arts. L’artiste présente une installation immersive de grands dessins, représentant des fleurs botaniques, réalisés en une fois et posés par marouflage. Elle y intègre des extraits du livre afin de questionner l’idée d’exactitude scientifique et de neutralité prônées par une pensée dominante.

Instagram : @camillechastang

Lou Chavepayre

Lignes d’erre #2, 2020

Par Anaïs Dolz

Artiste pluridisciplinaire, Lou Chavepayre transforme les contraintes et frustrations de son lourd handicap moteur de naissance en des oeuvres à la fois poignantes, politiques et esthétiques, d’une honnêteté marquante. Si sa pratique devait être définie en un mot, celui-ci serait la liberté,celle de créer et de vivre. Souvent avec humour, et toujours sans apitoiement, elle aborde des sujets qui lui sont vitaux et viscéraux, brisant les tabous dans l’idée de toucher le monde et d’en faire partie. Son corps dysfonctionnel et lourd au quotidien devient léger dans sa pratique artistique, elle se jette dans le vide et
« explose ses limites », comme dans son oeuvre Le saut, appropriée de Klein. Dans ses moulages Absence de cul, elle offre son corps aux regards, questionnant l’asexualisation par la société du corps handicapé. Son art est libre et vivant, pour elle : « le désir mène la danse ».

chvpr.com

Clément Courgeon

Chapo bleu, 2021, Détail de l’installation « Who pee on my boots ? », Beaux-Arts de Paris

Par Anastasiia Baryshnikova

Dans sa pratique artistique, Clément Courgeon jongle avec des médiums, thèmes et couleurs variés. Le caractère explosif et incontrôlable du Carnaval ainsi que sa nature trompeuse où le déguisement est de mise, forment une dualité qui inspire l’artiste. Ce dernier explore ce moment de renversement à travers ses performances qui sont enrichies par ses installations, dessins, costumes et accessoires. La conception de traditions et de cérémonies constituent également une autre de ses
préoccupations et se concrétisent par le grand récit de « fakelore », un faux folklore imaginé par l’artiste. Les créations de Clément Courgeon nous emmènent dans son imaginaire dynamique et théâtralisé. L’installation présente une cabane dépliable et transportable à tout moment avec, en son sein, un texte réconfortant. L’oeuvre devient un lieu de bien-être pour l’artiste, un sanctuaire protecteur qui lui permet d’explorer l’intime en s’appropriant l’espace au travers de l’écriture.

Jérémie Danon

Bruce sur la Vespucci Beach dans GTA V, -Plan film – (Chambre photographique), Issue de l’ensemble Plein air, 2021

Par Manon Vidal

Jérémie Danon s’immerge dans différents univers avec toujours le même objectif : celui de donner la parole à ceux qui ont croisé sa route et qui l’ont inspiré. Ex-détenus en réinsertion, danseurs afro-parisiens ou simplement amis de longue date, les portraits se succèdent mais ne se ressemblent pas. Si l’artiste privilégie bien souvent la photographie ou la vidéo, sa démarche ne peut être résumée à de la simple documentation et s’apparente bien plus à la transposition d’une expérience commune en objet artistique. Les mots qui parviennent à nos oreilles « Moi je suis ta muse » résument parfaitement le propos de l’installation Les Nouveaux classiques. Au musée du Louvre, les classiques de la peinture illustrent bien souvent des grands noms de l’Histoire, fortunés et d’ascendance noble. Sous le regard de l’artiste, ils deviennent Hamilton, Alpha et Karen, ses amis d’enfance figés à jamais sur une toile et représentés dans un décor idéal imaginé par eux-mêmes, reflet de leur intimité, leurs aspirations ou leurs rêves.

jeremiedanon.com

Énora Denis

Cameltoe Pride, 2020, Photographies

Par Anaïs Dolz

Énora Denis porte un regard décalé sur le monde dans lequel nous vivons, comme un prisme qui la suit dans son quotidien. Depuis 2011, elle use d’humour ou de transgression pour inviter le public à réfléchir à l’invisibilisation des femmes – leurs corps, leur histoire, leur travail. L’artiste détourne avec dérision les codes masculins, questionne l’ordre établi et imprime une nouvelle mémoire collective. Son féminisme, l’exploration de son corps, tout comme sa volonté de transformer les images de la honte en source de fierté, se traduisent notamment avec les Cameltoe Pride disséminés dans l’espace, et Procréation. Jardin (#002) et Papesse poussent à questionner les rapports de domination et de pouvoir imposés par l’institution religieuse. Les corps invisibles s’impose comme une installation issue de l’expérience personnelle de l’artiste. L’intimité y est politique.

enoradenis.fr

Yuna Denis

Grande Odalisque, 2020, Peinture, installation éphémère, gouache et spray sur panneaux extraits des murs d’atelier, tasseaux, 195 x 300 cm

Par Elina Poliakova

En posant des questions d’héritage et de transmission du patrimoine, Yuna Denis crée l’histoire en peignant. La peinture et le dessin sont, pour elle, des espaces de révélations et de « possibilités émergentes ». Dans L’ange déchu au titan, l’artiste opte pour un format horizontal, retenant le phénomène de la scène, de la théâtralité, dans l’espace duquel les événements se déroulent sous nos yeux. Yuna Denis utilise plusieurs personnages dans son travail tels que la figure maternelle, la femme primitive, sauvage, les anges, etc. D’une puissante et évidente
sincérité, ses oeuvres sont habitées d’images issues de la mémoire, des intuitions spirituelles et de la pratique artistique. Artiste nomade, Yuna Denis choisit des supports naturels pour ses oeuvres lors de ses voyages autour du monde et de sa quête spirituelle. Le carton léger a alors remplacé les toiles lourdes et la densité de la gouache, le poids de l’huile.

yunadenis.com

Juliette Dérutin 

When did you forget you were a flower, 2021, Sculpture/dessin résine acrylique, fer, acides, graphite. Pour l’exposition en ligne Safe, a midnight meeting avec le collectif Mychorrizal Activity

Par Elina Poliakova

Juliette Derutin s’inspire de différentes sources, telles que la littérature classique, la peinture – comme celles de Fra Angelico ou William Blake – les ambiances cinématographiques ou encore les communautés internet et les avatars virtuels. Iel recrée ainsi un macrocosme composé de personnages fantastiques et irréels. Dans son travail, à la fois de manière physique et tangible, iel mêle ses inspirations classiques aux subcultures vestimentaires, dans ce cas – Furry (un groupe un mouvement culturel apparu sous ce terme vers le milieu des années 1980. Les costumes de certaines furries, les fursuits représentent un fursona, animal fictif qui n’est pas la réplique d’un
personnage existant.) Juliette Derutin parvient cyniquement à « ouvrir » les normes sociales comme des plaies douloureuses, en libérant un courant de conscience dans lequel naissent ses créations. Les
oeuvres qui sont à plusieurs niveaux, plastiquement autosuffisantes et habitées par des fantômes d’êtres, dans lesquels nous ne pouvons reconnaître personne d’autre que nous-mêmes.

Instagram : @juju_routine

Inès Di Folco

Altar (détail), 2020 coton et huile sur toile, mousse expansive 380 x 270 cm

Par Manon Vidal

Le travail d’Ines Di Folco fait écho aux croyances magiques et aux traditions ancestrales par son jeu avec les couleurs, les matières ou les références mythologiques. Elle tente de s’éloigner d’une vision de l’oeuvre d’art comme icône. Le public est invité à pénétrer dans l’installation de l’artiste, hommage aux habitats et aux pratiques
des peuples nomades qui l’ont inspiré et qui résonnent avec ses origines tunisiennes. De ses voyages et de ses recherches, Inès Di Folco garde
en tête les motifs et les couleurs chatoyantes des tissus que l’on roulait au moment du départ pour les ressortir en guise de décor une fois arrivés au sein d’un nouveau foyer. Figer sur la toile ce qui n’est finalement qu’un lieu de passage, un souvenir ou une émotion, l’emporter avec soi ou l’exposer devant des inconnus, c’est réussir à conjuguer une poésie de l’éphémère et de l’exil à la création d’une oeuvre porteuse de mémoire.

Morgane Erpen

Carduus, 2016 – 2019, Installation, 500 x 400 x 700 cm

Par Emma Spencer

Quelle sera l’empreinte de nos sociétés modernes ? C’est dans cette ancienne friche industrielle que Morgane Erpen nous propose une introspection sur la trace que nous allons laisser. À travers les différents carottages en bioplastique, les spectateurs peuvent observer le désagrégement de certains morceaux des tubes dû à leur passage, déclenchant l’écoulement de l’eau. Au pied des structures, parsemées de fleurs galvanisées, le public peut récupérer des fragments de matière renfermant des graines de « lys de la paix » à planter. L’artiste nous ouvre la porte d’un futur laboratoire de chimie où la coupe statigratif
se transforme en bioplastique et le végétal en cuivre. Nous sommes les déclencheurs de cette expérience qui se désagrège au fur et à mesure du passage des humains, laissant sur le sol des vestiges d’une ancienne forme. Il est de notre rôle de nous saisir des morceaux du passé pour
faire renaître l’espoir d’un avenir plus en accord avec le vivant.

morganeerpen.com

Cédric Esturillo Cacciarella

Prospective Paresseuse, 2021, Bois, peinture, fer, céramique, bijoux, coquillages, sérum physiologique, latex, cheveux, terre, plantes, mues de serpent, mouches, araignées, bâche.
© Siouzie Albiach

Par Anastasiia Baryshnikova

Sensible aux savoir-faire artisanaux, Cédric Esturillo Cacciarella produit des artefacts qu’il rassemble dans des univers singuliers. Mélangeant les codes des cultures populaires avec des techniques traditionnelles, il révèle des imagi- naires bouillonnants de formes et de couleurs. Ces installations se composent d’hybridations spatio-temporelles provoquant des doutes sur leurs origines. Ainsi, l’artiste joue avec des formes semi reconnaissables pour éveiller nos subconscients. L’installation Prospective Paresseuse nous invite dans une mise en scène fantasmée qui interroge la place de la Science dans le futur de l’humanité. La technologie complexe et parfois incompréhensible bascule progressivement dans le domaine de la magie et de l’ésotérisme. À la manière des archéologues, Cedric Esturillo Cacciarella présente les fouilles de son univers mystérieux, brisant la frontière invisible entre le présent et le futur. Le public est alors invité à déambuler parmi les artefacts pour questionner la forme que prendra la Science dans les yeux de nos descendants.

cedricesturillo.com

Raphaël Fabre

Le Navire de Thésée, 2019, Installation, décor. Vue de l’installation au CAC La Traverse, Alfortville

Par Isabella D’Aprile

Entre performance, installation immersive, anima- tion 3D, intelligence artificielle ou encore réalité virtuelle, le travail de Raphaël Fabre se caractérise par la création d’environnements fictifs à travers les puissants moyens des nou- velles technologies numériques. L’artiste observe une société dépendante et obsédée par les médias, et interroge l’ambiguïté de son rapport à la vérité et à l’information. Les espaces qu’il crée virtuellement, véritables terrains de jeu et de création pour lui, font croire à une réalité existante et laissent le spectateur s’immerger dans des univers parallèles. Ces derniers tendent à la fois à émerveiller le regardeur et l’invite à élaborer sa propre interprétation sur les médias. Pour autant, Raphaël Fabre ne se positionne pas en juge envers les technologies numériques, mais instaure assez de doutes au public, pour qu’il développe un esprit critique sur les fonctionne- ments sociétaux et le rapport au pouvoir et à la liberté.

raphaelfabre.com

Léo Fourdrinier

Love Like a Sunset, 2020, Kawasaki 1000 RX, acier, led, 180 x 90 x 250 cm, Production : Le Port Des Créateurs, Vue d’exposition : Galerie l’axolotl, Toulon

Par Fanny Trussart

Léo Fourdrinier est fasciné par l’antiquité, les poèmes de Paul Eluard et l’astrophysique. Ses sculptures et installations, souvent massives, sont réalisées à partir d’objets récupérés qu’il bricole et refaçonne : assemblage ou désassemblage, torsion ou compression, mise en déséquilibre, détournement, etc. C’est généra- lement l’objet qui érige l’idée et gouverne la forme. Dans [Super]natural Delight, on retrouve deux de ses matériaux de prédilection, l’acier et les néons. Le cœur de l’œuvre est composé de deux moulages de têtes antiques, depuis lesquels germent des fleurs artificielles. La base de la structure, légèrement surélevée et circulaire, produit un effet de lévitation et de mouvement. Enfin, l’axe donné par le néon invite le regard à s’élever vers le ciel. L’installation est directement inspirée de Dancing in the Moonlight, une chanson du groupe de rock King Harvest. Le spectateur est en somme convié à une danse nocturne enivrante sous les vibrations lumineuses de la lune, une sorte de rêverie cosmique aux consonances érotiques.

leofourdrinier.fr

Juliette George

Banque (croyance, transaction, valeur), 2021, Installation, Peinture, papier © Grégoire Ablon

Par Elina Poliakova

Juliette George se questionne sur ce qu’est l’art et, dans les conditions actuelles alors que le marché devient de plus en plus un outil de spéculation, quelle est sa valeur. Banque (croyance, transaction, valeur) est composée de neuf textes, qui établissent un rapport entre l’art et l’argent selon trois modalités : la croyance, la transaction et la valeur. L’artiste avance des théories et les réfute immédiatement de manière humoristique et absurde, afin de montrer qu’une fois de plus « ici non plus, lavérité n’existe pas ». Son « économie narrative » s’inscrit à la fois sur l’aspect minimaliste de son installation, mais également dans la modestie des matériaux utilisés. Avec Banqueroute, elle ironise sur l’aspect matérialiste de l’art et flirte avec l’origine du mot qui vient de l’italien banca rotta, le banc symboliquement rompu par les autorités lorsqu’un marchand faisait faillite. Juliette George teste ainsi sa propre valeur : combien de textes les visiteurs sont-ils prêts à lire sans le confort d’un siège ?

Instagram : juliette george

Juliette Green

What Must Happen for Two People to Meet?, 2021, Acrylique sur papier, 150 x 250 cm

Par Alexandra Jouanneau

Juliette Green est une conteuse. Fascinée par les rapports humains et par les interactions entre les êtres et les objets, elle aime imaginer des personnages dont elle étudie les actions, les sentiments ou les pensées. Elle met en relation leurs comportements jusqu’à faire émerger des récits de vie, comme autant de biographies de l’être humain. Ses œuvres racontent des histoires qui prennent souvent pour point de départ des questionnements existentiels : les modes de consommation, la place de la technologie, le rapport à la ville, etc. Les sujets qu’elle aborde par le biais du dessin au trait et de l’écriture ont pour volonté d’être accessibles au plus grand nombre. Le souci du détail et la minutie descriptive avec lesquels elle s’attache à rendre compte de la diversité des trajectoires personnelles, transportent le lecteur dans un univers bicolore, théâtre miniaturisé de la société. Un sens de la composition, une invitation à la contemplation : là réside toute la force de Juliette Green.

juliettegreen.com

Shuo Hao

L’arche de Noé, 2021, Pastel sec sur papier, 110 x 75 cm

Par Emeline Houssin

Shuo Hao réinterprète des thèmes de la peinture de la Renaissance, les transposant à l’aune de considérations sociales et politiques actuelles, se questionnant sur l’avenir incertain de son pays, la Chine. Dans ses compositions inspirées par Les Trois Âges et la Mort (Hans Baldung, 1510) et Le Sacrifice de Noé (Michel-Ange, 1508-1510), l’artiste donne une nouvelle lecture d’unepréoccupation humaine intemporelle, celle du temps qui passe vers une destination unique et inconnue, impliquant sur son passage la fin des êtres et des mondes qu’ils peuplent. Shuo Hao mobilise une gamme chromatique douce, légère, perçue comme féminine, venant installer une ironie par contraste avec la dureté des thèmes abordés. Les figures animales, récurrentes dans son travail, viennent ici incarner le renversement des rôles où l’inoffensif lapin se changerait en prédateur. Dans cette inversion des valeurs, la perspective d’un déluge pour le règne des hommes fait écho au bouleversement de la société chinoise.

Ninon Hivert

Vue de l’installation Personne.s, 2021, Ensembles de céramiques émaillées, Dimensions variables, © Misha Zavalniy

Par Alexandra Jouanneau

En droit civil, l’expression res nullius désigne une chose qui n’appartient encore à personne mais qu’il est possible de s’approprier. Cette locution latine résume l’essence de la pratique artistique de Ninon Hivert. Les sculptures en céramique qu’elle réalise prennent la forme d’objets et de vêtements, figés dans un entre-deux entre présence et absence : les corps se dévoilent en creux des mouvements pérennisés dans la matière. Les œuvres ainsi modelées s’inspirent d’indices sociologiques immortalisés par la photographie, au gré des déambulations de l’artiste ou de rencontres fortuites. Prélevés dans un environnement, dans une temporalité, ces objets trouvés qui s’imposent à elle l’amènent à pratiquer une archéologie contemporaine du quotidien. Par son empreinte, la sculptrice entreprend de reconstituer l’histoire de ces fragments du réel. Les pièces créées sont présentées selon un accrochage en grille, invi- tant le spectateur à entrer dans l’installation, à s’approprier chaque élément et en imaginer les possibles narratifs.

ninonhivert.com

JJ VON PANURE
Leïla Fromaget et Anastasia Gaspard

Collection de fève-sculptures, 2021, Faïence, Dimensions variables (de 1 cm à 2,5 cm)

Par Fanny Trussart

Le duo d’artistes se concentre sur un élément minuscule et incongru : la fève. Objet de convoi- tise, elle désigne au hasard son heureux·se élu·e à chaque galette au moment de l’Épiphanie. Cependant, chez JJ von Panure, on transgresse les traditions. L’artisanat de la fève se transforme en représentation d’objets du quotidien, miniaturisés à l’extrême, dans une quête infinie de farces et d’irrévérence. Leur installation met en scène la salle du trône d’un roi imaginaire entouré de ses sujets, symbolisés par des centaines de fèves-sculptures. Une allée d’offrandes et de reliques inspirées, entre autres, d’art populaire et de cultes païens, mène à une chaise à porteurs ou chaise-brancard, qui laisse à penser que le roi est souffrant. La fève et ses symboles de chance, de santé, de richesse, de pouvoir ou encore de vertu est ainsi déclinée et détournée, point de départ d’un petit théâtre du trompe-l’œil où le précieux se mêle au ridicule.

Instagram : @jjvonpanure

Jean-François Krebs

Étude pour Amniov, 2018, Performance, Durée variable

Par Isabella D’Aprile

Jean-François Krebs présente une installation vivante et évolutive, un projet où l’homme dialogue avec le monde végétal, jusqu’à poursuivre un réel processus de métamorphose. Des fragments de corps sont suspendus dans un espace où l’eau et les plantes choisies en fonction de leurs vertus médicinales, de leur toxicité et des hormones sexuelles qu’elles contiennent, cohabitent. Ce dialogue crée une forte interconnexion, qui évoque l’écosexualité. Grâce à l’enseignement des plantes qui se multiplient à partir de leurs fragments, l’artiste représente un monde où les parties de corps peuvent donner naissance à de nouvelles vies humaines. Ces fragments sont réalisés en résine, en impression 3D et en verre. Symboliquement, l’œuvre offre également une réflexion sur la relation de domination et de toxicité entre les humains et la flore. Le verre contient en effet des éléments radioactifs, ce qui lui donne une couleur vert- jaune et une forte luminosité. L’artiste joue par transparence des variations de lumière, fondamentale pour la photosynthèse, créant ainsi des miroitements dans le feuillage, les pièces et l’eau.

jeanfrancoiskrebs.com

Corentin Laplanche Tsutsui

Tales from Black, 2017, Installation de photographies, Impressions UV sous plexiglas, tirage jet d’encre sur phototex, tirages jet d’encre sur
baryta, Dimensions variables, Vue d’installation

Par Juliette Fournillon

Le processus artistique de Corentin Laplanche Tsutsui tend à mettre en perspective les conditions de fabrication et les modalités de production des images au travers de narrations audio-visuelles dérivées de ses films. Suite à son voyage en Eurasie, il est marqué par l’image du Osaka Stadium, transformé en lotissement pendant presque dix ans au début des années 90. L’histoire lourde de ce lieu, construit suite aux bombardements de 1950 et racheté par la ville en 1989, déploie l’imaginaire de l’artiste qui y voit le récit des villes mutantes et du capitalisme dont il fut le témoin. Une prise de conscience se dessine : l’état d’urgence des métropoles en constante construction et pourtant dénuées de pérennité. Sacralisé par cette image, son projet d’installation nous invite par des archives vidéo, une maquette du stade ainsi que des photographies, dans un récit historique et spéculatif rejoignant son film en cours de production Osaka Stadium ou la Ville Composite.

Aurore Le Duc

Made in Catelland, 2020, Capture d’écran tirée du compte Instagram « Made in Catelland »

Par Farah Maakel

Aurore Le Duc manie le reenactment et joue avec le statut du plagiat dans l’art. Créatrice d’authentiques faux, elle cherche à faire réagir l’autre et à tester les limites de l’institution avec humour. Elle se revendique culturellement transfuge de classe et utilise son positionnement précaire pour désamorcer créativement les hiérarchies entre les cultures mainstream et de niche. Son travail d’artiste copieuse assumée ne cherche pas à dépasser le sujet qu’elle reprend. En effet, il se situe volontairement dans l’interstice entre échec et réussite : assez raté pour créer un malaise, mais suffisamment ressemblant pour que l’on reconnaisse sa cible. MADE IN CATELLAND est un fake de l’Instagram de son plagieur Maurizio Cattelan. Par ce biais de correspondance, elle questionne ainsi la précarité accrue des artistes émergents, invisibilisés dans un marché de l’art où le renom est symbole de légitimité.

Guillaume Lépine

Nerikomi : Comment réfléchir à l’intérieur de la matière, 2020, Exposition présentée du 1er mars au 1er septembre 2020 au Centre des Arts et de la Culture de Dieppe, Nouveau-Brunswick, Canada

Par Juliette Fournillon

Guillaume Lépine accueille au cœur de son travail les notions de temps et d’espace laissant place à un art expressif et furtif en constante évolution. L’œuvre dans sa finitude n’est plus, faisant écho au sentiment d’incertitude qui conduit le regard et la pratique de l’artiste. Cette dite remise en question de l’aspect définitif prend forme lors du moment d’exposition, elle-même agissant comme une étape du processus artistique. Le spectateur est invité à se déplacer sur la tapisserie exposée et se joint aux œuvres disposées sur cette dernière. Se positionnant comme co-commissaire, G. Lépine scénographie ses pièces en décomposant et recomposant leurs positions dans l’espace. Elles sont vivantes, apparaissent et disparaissent, leurs rôles et valeurs deviennent interchangeables. Dès lors, nous ne sommes plus témoins d’une production mais acteurs d’une expérience incarnant l’éphémère et célébrant la trace d’un passage.

guillaumelepine.com

Robin Lopvet

Nature morte sans titre n°1, 2021, Photographie numérique, 100 x 70 cm

Par Alexandra Jouanneau

À l’ère de la consommation de masse et du gaspillage à outrance, Robin Lopvet s’empare avec facétie de la problématique du recyclage. Dans sa série Still, Life, l’artiste met en scène une matière organique déformée, distordue, transformée, jusqu’à dévoiler un écosystème en pleine recomposition. S’inspirant de la tradition de la nature morte, il réinvente le genre à travers une esthétique fantasmagorique aux courbes hallucinatoires. Son travail photographique, qui unit composition picturale et pratique numérique à travers l’assemblage et le collage, fait du déchet son protagoniste phare. Robin Lopvet collecte en effet les invendus des marchés et autres reliquats glanés pêle-mêle, qu’il capture ensuite à la manière du peintre attentif à son modèle. Au sein de cette économie de la récupération se pose la question de ce que la société produit et de ce qu’elle jette. Comme l’écrit le physicien Antoine Lavoisier, « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ».

robinlopvet.com

Leticia Martinez Perez

I’ll get you pretty, 2021. Installation de sculptures en peinture sur soie, Dimensions variables © Eladio Aguilera

Par Carolina Cepeda Almaguer

Dans l’œuvre de Leticia Martínez Pérez, le public est invité à expérimenter un univers onirique à travers des espaces hybrides habités par ses sculptures totémiques et ses performances. En s’inspirant du folklore espagnol, de l’imaginaire de Goya et des fêtes religieuses, elle se réapproprie et entrelace les traditions avec modernité. L’artiste installe de manière triangulaire une série de peintures sur soie à motifs symétriques, aux formes ornementales et organiques, aux couleurs vives et contrastées, qui évoquent la nature. L. Martínez Pérez explore et reformule le corps grâce aux vêtements, au travers de la soie, faisant ainsi allusion à l’intime et au délicat. Tout en interrogeant la connotation sociale et esthétique de ce tissu, elle le transforme dans l’espace. Ainsi, le kitsch, le tendre et le monstrueux se rencontrent, en générant une tension dans ce microcosme fantastique.

leticiamartinezperez.com

Adrien Menu

Ennui sauvage, 2019, Acier, résine acrylique, 83 x 223 x 65 cm

Par Juliette Fournillon

Dès sa première visite en ce lieu, Adrien Menu a souhaité exposer dans cet espace transitoire de la Chaufferie. Ses nouvelles œuvres en épousent l’aspect passager, de par la précarité des objets représentés semblant y avoir été abandonnées, couche après couche, à l’image de ses vêtements entassés sur la rambarde de l’escalier. Seule une démarche ralentie et un regard attentif permet de percevoir la méticulosité des agencements ainsi que les transformations matérielles opérées par l’artiste, jusque dans les détails de cette mouche reproduit en laiton et fixé sur une vitre. Ces corps indésirables, d’apparence mobiles, sont désormais lestés de matériaux bien plus lourds et paraissent s’enraciner dans l’espace. Il semble ici déposer des ancres afin d’introduire une temporalité en contrepoids de cette société rythmé et rythmant l’individu au travers de diktats extérieurs devenus obsolètes.

adrienmenu.com

Sergio Morabito

Magma, 2019, Huile sur toile, 230 x 270 cm

Par Clément Justin-Hannin

Sergio Morabito, très fortement inspiré par les primitifs italiens, revendique dans son travail une narration interne, une théâtralité et un questionnement sur les registres de langages esthétiques, composant une identité singulière. Sa maniera est celle du secret. Gardant le silence sur les significations de sa peinture, il sculpte des sujets qui se dévoilent peu à peu et résonnent ensemble, du diptyque avec prédelle à la sculpture centrale en passant par les deux prie-dieu sur lesquels le public est invité à s’installer. Ces derniers laissent place à une réflexion introspective plutôt qu’à une dévotion liturgique privée. La religiosité apparente des motifs – dans les postures, dans les formes, dans les objets rituels – est à recevoir comme une relecture mythologique contemporaine, qui s’adresse directement à notre entendement par l’intermédiaire de nos sensations. En devenant le conteur des saynètes, le spectateur résout ses conflits intérieurs entre pulsions animales et comportements sociaux.

sergiomorabito.com

Lucian Moriyama

Boîte avec façade de cathédrale, 2021, Scagliola (plâtre), pigments, huile, 14 x 18 x 21 cm

Par Isabella D’Aprile

À l’instar d’un magasin de luxe dans l’un des plus beaux quartiers de Paris, l’installation proposée par Lucian Moriyama réunit différents objets à l’aspect précieux. Ces derniers interrogent la manière dont l’art séduit en passant par le mensonge, usant de l’effet d’optique qu’est le trompe-l’œil. Dans son travail, il récupère une technique désuète qu’est la scagliola, et use de formes utopiques et de fantaisies exotiques. Lucian Moriyama remet ainsi en question les traditions du modernisme et le décalage existant entre le discours de l’artiste et la réalité physique de l’œuvre et de sa production. La scagliola, substance composite à base de sélénite, matériel du faux et de l’imitation du marbre par excellence, essaye de tromper le visiteur en remettant en question la façon dont les objets et ses supports peuvent être porteurs d’idées ou d’histoire. Parmi les jeux d’ombre et de lumière et les imitations ironiques de la géologie, une performance active l’espace et ses objets.

lucianmy.com

Pascal Mouisset

Sans titre (Laidback série), 2020, Huile sur toile, 250 x 200 cm

Par Anastasiia Baryshnikova

Le travail de Pascal Mouisset dépasse le cadre traditionnel de la peinture. Ses toiles cohabitent avec les médiums comme la photographie et la vidéo, elles s’adaptent aux divers lieux, s’ouvrent et tissent des liens vers l’extérieur. Afin de créer de nouvelles compositions dans l’espace, les toiles perdent leur « frontalité monumentale » pour s’élever au-dessus du public et céder la place à la fluidité et la tendresse. Ainsi, la peinture réalisée en technique de glacis crée sa propre aura pour dépasser la simple matérialité de la toile. L’installation immersive invite à redécouvrir l’espace peint et plonge le spectateur dans sa surface aqueuse, informe et romantique où ce dernier se retrouve submergé par la couleur débordante. Dans une démarche de collaboration et d’échange, comme l’indique le titre Demander à une idée étrangère et voisine le meilleur de la force qui lui manquait, Pascal Mouisset invite l’artiste Ella Ngovan à investir l’installation à travers des captations vidéos.

pascalmouisset.com

Raphaël-Bachir Osman

Torso et Chocotablette (dyptique), Huile sur toile, 2020, 18 x 12 cm et 120 x 90 cm

Par Fanny Trussart

À tout prix ne jamais s’enfermer dans un style. Toujours asservir la peinture au sujet. Faire de chaque détail une obsession. Enfin, éviter l’ennui. Tels sont les mots d’ordre qui guident le travail pictural de Raphaël-Bachir Osman. Sa série autour du thème de la gourmandise met à l’honneur la pâtisserie : éclair au glaçage velouté, généreuse biscotte au chocolat sur nappe vichy, nappages de millefeuilles en relief travaillés en série à la poche à douille, etc. Puisque le sujet indique son traitement technique, il faut badigeonner la peinture à l’huile sur la toile comme on étale le chocolat sur la tartine. À travers une effronterie revendiquée, ses œuvres- plats absorbent les codes de la restauration et l’iconographie de la nature morte pour mieux s’en détacher. L’artiste s’évertue à nicher la finesse dans l’excès. L’extrême lenteur du travail est mise au service d’une hyper-objectivité de la représentation, qui se rit du monde de l’art dont elle révèle insidieusement les absurdités.

raphaelbachirosman.com

Nefeli Papadimouli

Être Forets (costumes), 2020-2021 , Installation, Coton, metal, mercerie divers, Dimensions variables, Antia, 2021 / Gridin, 2020 / Ovitleet, 2020 / Glimma, 2020 / Iovitrac, 2021 / Plendih, 2020-2021 / Kryza, 2020 / Dany, 2020 / Elassansre, 2020 / Sojpeh, 2020-2021

Par Farah Maakel

Nefeli Papadimouli est une artiste et architecte pluridisciplinaire utilisant des techniques textiles – autrefois associées aux femmes et différents médiums tels que la performance et l’installation. Au moment de l’activation de ses œuvres, le corps humain se pare des objets créés et exposés qu’il utilise comme moyen de communication, participant à la négociation d’un rapport humain égalitaire. Ces œuvres-costumes deviennent des espaces protégés, des refuges où l’on peut se transformer, se re-définir soi-même. Ils façonnent l’environnement de la performance, induisant des cadres et contextes de mondes fait de lignes et d’oppositions qui s’entrecroisent. La pièce se lie et se délie en une poésie spatiale, un paysage total, organique, à la chorégraphie aléatoire et évolutive. Cette transformation cyclique de l’espace d’exposition s’opère selon des facteurs extérieurs, personnifiés par les spectateurs, qui deviennent co-scénaristes de la performance. Ainsi, une nouvelle histoire s’écrit à chaque activation, créant une mythologie.

nefelipapadimouli.com

Chae Dalle Park

Hand to hand, 2020, Laine, colle d’amidon, peinture à l’huile, pâte à modeler, crayon, 300 x 400 cm

Par Inès Selmane

Chae Dalle Park, dans son installation de peintures sur toiles tricotées Hand to hand, prend le Temps par la main. Le tricot enregistre ce dernier, chaque maille lui donne forme au travers d’une nouvelle dimension physique, celle de la toile en devenir. Le Temps et la toile, indissociables, sont étirés et suspendus dans l’espace d’exposition. Le regardeur peut alors découvrir le dessein de l’artiste : transmettre la beauté cachée des interstices du quotidien. Pour y arriver, répétition, contemplation et méditation sont nécessaires. Ces actions ouvrent une brèche, dévoilant la beauté des petits riens de la vie. Les yeux grands ouverts, l’artiste traduit ce bonheur journalier, maille par maille, pour mieux le transmettre dans ses toiles colorées. Lorsque vous vous retrouverez en face de l’œuvre de Chae Dalle Park, n’hésitez surtout pas : prenez votre temps.

toujoursbeatrice.wixsite.com/mysite

Joseph Perez

Vue d’atelier, portes ouvertes Artagon Marseille, 2021, Travail en cours, 18 mois minimum, © Justine Perez

Par Farah Maakel

Joseph Perez est un artiste qui s’inspire de l’Arte Útil, un art utilisant les institutions dans le but de créer une expérience éthique. Dans sa pratique in situ, il extrait des éléments de contexte et de lieu à l’intérieur desquels s’inscrivent ses recherches. Pirate du quotidien, il contourne et détourne des situations. L’artiste s’inspire d’une culture de mouvement populaire – telles que les manifestations, la fête et le foot – avec laquelle il crée des actions artistiques destinées à perturber notre environnement. Attaché à la notion de solidarité, ses pièces proposent des dénonciations ironiques sur la société et infiltrent l’art dans notre quotidien. Elle est où la Moulaga ? se destine aux acteurs précaires du monde de l’art. Sur un fond de boîte à outils-ressources comme motif de papier peint, J. Perez déclare ses revenues artistiques depuis 2019 en usant d’une esthétique à mi- chemin entre les manifestes FLNC et les salles d’interrogatoires.

josephperez.fr

Maëlle Poirier

Flying mode: activated, 2020, Vidéo interactive, 2 minutes 20 secondes

Par Inès Selmane

Avec Maëlle Poirier, préparez-vous à plonger dans son enfance : les années 2000 et leur esthétique kitsch et pixelisée tout droit sortie de Windows 98, Skyrock ou encore Tumblr. L’installation se compose d’écrans représentant trois espaces d’un même monde virtuel tels qu’un parc pour enfants, une chambre d’adolescente et une boîte de nuit. Une seule protagoniste y habite, un personnage féminin dont les avatars s’alternent et se confondent, équipée d’une multitude de gadgets. Devant nous, les objets tirés de cet imaginaire virtuel prennent vie et entrent dans l’espace d’exposition. Cette reconstitution est partielle, à l’instar du personnage principal, nous sommes confrontés à une froide réalité : ce monde n’existe pas, il n’est que fantasme et nostalgie. Les années 2000, métaphore de l’enfance de l’artiste, ne sont plus. Il est temps de devenir adulte, mais l’injonction se fait violente.

maellepoirier.com

Franck Rausch

Échapée belle, 2020, Huile sur toile, 120 x 100 cm

Par Inès Selmane

Le quotidien comme dernier bastion de la liberté, voilà la philosophie de Franck Rausch. Ses natures mortes sont des invitations vers ce lieu ordinaire du tout et du rien. Pour l’artiste, nos vies suivent le rythme donné par le métronome du capitalisme : « métro-boulot-dodo ». La chanson est bien connue et elle n’est pas souvent heu- reuse. Nous voilà ainsi plongés dans un univers pictural teinté de couleurs froides, de lignes dures et d’ombres marquées, comme ces poches sombres creusées sous nos yeux. Pourtant, sous une lumière vive, les objets de tous les jours apparaissent comme des sujets de méditation, des remparts au mode de vie contemporain. Franck Rausch nous invite donc le temps d’une toile à contempler l’ordinaire pour nous rappeler qu’il y existe encore des espaces de liberté, à portée de main.

franckrausch.de

Paola Siri Renard

Love to details (WHO MEANS WELL?), 2019, Plâtre acrylique, fibre de verre, acier, 460 x 90 x 70 cm (extensible)

Par Clément Justin-Hannin

Dans l’espace urbain, l’architecture fige dans la matière les systèmes de relations politiques, sociales, économiques et symboliques des sociétés humaines. De ce patrimoine architectural nourrit d’une grande évolution de formes, du gothique à la contemporanéité, Paola Siri Renard retient l’importance du détail et souligne la possible mythification de la mémoire collective. S’appropriant la modénature historique des bâtiments qu’elle côtoie, médaillons, rosaces et détails végétaux, elle sculpte de nouveaux espaces prévus pour accueillir et abriter les corps, conférant alors aux constructions une dimension défensive. L’artiste emprunte à la nature des procédés de calcification, de mue et de sécrétions pour conférer à ses œuvres une aura d’instabilité. En plein processus de mutations profondes, entre fossilisation et montée de sève, ces protections naturelles tranchent avec une identité mécanique, structures métalliques, chaînes, hélices, qui transposent la résistance naturelle en auto- défense. Cette métamorphose dédoublée sous-tend ses pièces d’une double identité qui questionnent la violence culturelle et symbolique de l’archi- tecture tout en faisant un lieu de repli et de protection.

paolasirirenard.com

Francisco Rodriguez Teare

Otro Sol, 2022, Film, couleur, son 5.1, 90 minutes

Par Carolina Cepeda Almaguer

Comment traduire au cinéma la manière dont on s’inscrit dans le monde matériel après la mort ? À travers l’image en mouvement, Francisco Rodríguez Teare révèle une réalité latente comme un témoignage de son époque. Dans les archives judiciaires et leur manque de précision, l’artiste trouve son point de départ pour capter des images qui interrogent la frontière entre documentaire et fiction. Dans un même temps, son travail cherche à répondre affectivement à une froideur et à une morosité de la presse, déjà inscrites dans notre culture, en interrogeant notre relation aux médias. Optant pour des formats non traditionnels, comme les caméras à 360°, il explore ici des thèmes tels que le territoire, le mythe, la légende et la mort, en suivant parfois une narration expérimentale avec des touches surréalistes. De cette manière, son travail plonge dans la mémoire individuelle, sa fragilité et la manière dont elle est construite, comme une dictature du présent.

vimeo.com/user2332181

Lucas Seguy

Le Petit Poucet, 2019, Installation vidéo (écrans vidéos, boite acajou 62 x 70 x 20 cm, cartes mère Raspberry), Boucle vidéo de 4 minutes

Par Fanny Trussart

Les œuvres de Lucas Seguy recèlent de multiples formes d’étrangetés. À l’aide d’outils numériques, il compose des images de synthèse à la fois fascinantes et dérangeantes, où la transformation du corps humain occupe une place centrale. Dans cette série de vidéos, le spectateur est placé en observateur face à une vallée luxuriante, sorte d’Arcadie mystérieuse où vivent des êtres fantastiques aux sexualités d’un genre nouveau. Pygmalion reproduit mécaniquement les individus en les scannant à la manière d’une imprimante 3D. Les Trois Grâces s’interpénètrent et figurent un fonctionnement reproductif qui ne fonctionne qu’à trois. Le Petit Poucet, quant à lui, insémine un orteil au sein d’une cavité souterraine semblable à un utérus : la gestation est externalisée. Ainsi, au travers d’une esthétique rétro-futuriste où chaque geste s’effectue d’une lenteur robotique, Lucas Seguy questionne les avancées scientifiques en termes de procréation médicale- ment assistée — don anonyme de sperme, clonage, etc. —, jusqu’à se demander si le futur sera fait d’êtres humains mis au monde à partir d’utérus artificiels.

lkseguy.wixsite.com/lucasseguy

Masahiro Suzuki

Mise à feu, mise au monde : la tour en argile grise, 2021, fime, 44’15, Vue de l’installation évolutive avec matériaux trouvés sur place : argile grise, bouleau, charme, séquoia, paille, planches, briques, 460 x ø 700 cm, L’archipel du DomaineM, La Motte-Leyrat
Par Emeline Houssin

Le travail de Masahiro Suzuki est inclassable par ses formes ou ses médiums, se pensant plutôt comme une expérimentation de la matière, où l’acte majeur est le geste, source de création. L’artiste ausculte ce qui unit une œuvre à son milieu, analysant le rapport entre destruction d’un premier état pour en recréer un nouveau. Ses installations sont toutes pensées à partir d’un paysage primaire qui va donner sens à l’action artistique car déterminant les matériaux ainsi que les techniques, nouvelles ou ancestrales. Si ce travail pose la question du rapport de l’œuvre à son environnement, l’artiste souhaite également poser la question du mouvement, du nomadisme de ses créations. Les horizons naturels sont devenus des paysages dans les yeux des êtres sédentaires, comme une volonté de dompter un milieu par une perception familière. L’œuvre est son milieu, mais se réinterprète dans chaque espace qu’elle investit, c’est elle qui transporte le sens.

Una Ursprung

Sapin, 2021, Huile et peinture acrylique aérosol sur canvas, 40 x 30 cm

Par Clément Justin-Hannin

Les forêts d’Una Ursprung, dans une double représentation à la fois figurative et abstraite, incarnent autant son intériorité émotionnelle que son aspiration à un cadre de vie à l’écart du monde urbain. L’espace naturel figé dans l’instant, côtoie le geste impactant de la bombe de peinture, créant un conflit interne au tableau. Cette tension vient exciter la surface picturale, la renvoyant simultanément à la profondeur de l’image et à la bi-dimentionnalité du support. Les poussières naturelles des forêts se muent ici en projections d’aérosols, questionnant nos intentions face à l’équilibre ténu et fragile de nos écosystèmes. Ce contraste tiraille également son œuvre dans la technique qui mêle peinture à l’huile et acrylique en spray. Loin des représen- tations pastorales traditionnelles de l’histoire de l’art, une divergence esthétique se joue à la surface de ses œuvres et amène en filigrane la question de nos choix dans la création de l’avenir.

unaursprung.com

Gaspar Willmann

Vue d’exposition, Fresh Widower, 2021, Vidéo, installation, peinture, Dimensions variables

Par Emma Spencer

Suivant toujours le même protocole, Gaspar Willmann collecte des images qu’il associe à ses propres photographies sur un seul et même fichier Photoshop. Les images s’accumulent dans une suite incessante jusqu’au kairos, ce moment où la compo- sition numérique est terminée. L’œuvre devient une nature morte, un paysage iconographique familier, qui nous laisse un sentiment de déjà-vu. La mise en pause jusqu’alors numérique prend physiquement forme sur une toile de lin et de coton que l’artiste enrichit de peinture à l’huile. Cet arrêt sur image, extrait de la série JUMAP Juste Une Mise Au Point sur les plus belles images de ma vie, n’est pourtant qu’illusoire puisque le fichier Photoshop ne s’arrête pas d’être nourri au rythme de la circulation d’iconographies de nos sociétés. Enfin, pour perpétuer le mouvement incessant de la série et découvrir le lien entre l’œuvre et l’histoire du site, le public est invité à tourner la manivelle de la liseuse située au sol.

gasparwillmann.com

Yoann Ximenes

Mantras, 2013-2020, Polystyrène extrudé, cordes en nylon, lests en fer blanc, douche sonore, Dimensions variables
Par Clément Justin-Hannin

Le parcours singulier de Yoann Ximenes invite à trouver en son travail une cohérence interne et poétique au-delà du visible et des aprioris. Novalis écrivait dans ses poèmes : « Nous sommes liés de plus près à l’invisible qu’au visible ». Matérialisant les spectres sonores des discours qui ont forgé l’Histoire, l’artiste remet à distance cette certitude toujours vibrante. Il questionne la distance à ce qui est connu par la performativité de la parole et sa souveraineté politique. Ses Mantras n’appellent donc pas à une adhésion idéologique mais révèlent l’impact significatif de l’audible en société. Avec Souvenirs from Earth, il retranscrit les derniers enregistrements de chants d’oiseaux disparus : les dimensions renvoient à la place que laisse l’humain au reste du vivant dans l’histoire. Le charbon, lui, matière noire et fossilisée, symbolise le deuil. Posant la question de l’impact de la matière sonore sur le quotidien et fortement imprégnée par la « culture sourde », Yoann Ximenes réalise le rapport sensible à l’invisible, il expose ce que l’on ne saurait voir.

XOLO CUINTLE
Romy Texier et Valentin Vie Binet

Waiting Room, 2020, Matériaux divers, Vue d’exposition, Poush Manifesto

Par Carolina Cepeda Almaguer

Marqués par l’idée du chantier comme lieu d’un double mouvement, d’élévation et d’effondrement, Romy Texier et Valentin Vie Binet, sous l’entité Xolo Cuintle, présentent une installation in situ à l’allure d’une maison en construction. Dans cet espace archéologique, des sculptures poussent, comme des êtres qui émergent du sol, en agglomérant les couches et les sédiments qui y sont présents. De manière contradictoire, le béton devient un matériau doux, amenant l’extérieur à l’intérieur. L’intimité du domestique est ré-imaginée poétiquement, baignant l’espace dans une atmosphère de sérénité et de rêverie. Dans cet état de latence, les plantes fleurissent, la nature suit son cours de manière inévitable. Mettant en scène une sorte de nature morte méticuleusement conçue, le duo propose une expérience immersive, un espace-temps alternatif.

Instagram : @xolo_cuintle

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