Et de nos bouches sortent des diamants, des crapauds et des rires

Journée de rencontres

Rencontres, performances artistiques, atelier exploratoire, soin du repas et du ménage, conférence chorale, installation peut-être, et toute chose qui sera apportée…

NB : Le féminin est employé ici comme un inclusif de toute la variété des genres. Les termes « sorcière» et «performeuse » peuvent aussi bien désigner des femmes, que des hommes et des personnes qui ne se retrouvent pas dans ces identités genrées.

Une journée de performances

Nous sommes artistes, organisatrices et aussi public. Nous proposons à chaque personne présente d’endosser, d’essayer, tous ces rôles. Les propositions suivantes structureront la journée et lui donneront sa couleur générale mais, cela reste une esquisse. Chacune est bienvenue pour apporter son grain de sel à cette grande marmite.

Anne Zali, Dans le souffle des commencements

Quelque part entre le vent et la pierre, entre le cri et l’eau, s’aventurer le coeur battant dans la parole, comme on marcherait pieds nus vers un puits et peut-être qui sait, chemin faisant, plonger ensemble dans le souffle des commencements… Et pourquoi pas avec Orphée, indestructible dans son chant, Orphée aussi ombreux que solaire?

Anne Zali co-anime à la Sorbonne le séminaire Chemin d’écritures. Nous lui avons proposé d’intervenir dans un cercle qui pourra se poursuivre, devenir choral, se briser et se reformer tout au long de la journée. Au long du chemin, nous glanerons peut-être de quoi créer de nouvelles cartes du monde…

Flore Saunois, Chute en suspens

Par exemple, un miroir qui suivrait la lumière du jour. Quelques interventions éphémères, des gestes simples tendant à souligner l’espace, scruter l’infime, le presque rien. Des gestes qui pourraient s’étoffer au cours de la journée, devenir prémices et échos d’une lecture-performance qui se répétera, peut-être.
Avec Flore Saunois, il est question d’états de latence, suspendus et ouverts aux possibles. Des états qui jouent – et déjouent – les lois temporelles et physiques. On y trouve des paradoxes de présences absentes, différentes temporalités et échelles de temps coexistent, un instant se prolonge à l’infini. C’est une recherche sur le langage, sa matérialité et ses possibles traductions dans des formes, et son influence – réciproque – sur le réel.

Gwenola Breton, La piscine

Gwenola Breton invitera les personnes qui le souhaitent à s’installer au sol et faire l’expérience d’être portées sur tout ou partie de leur corps. Une expérience qui pourra se prolonger, en portant chacune.s les personnes suivantes et mesurer ainsi le vivier que nous sommes, collectivement.
La piscine, (du latin piscina « vivier ») était le lieu où les prêtres se lavaient les mains pour se purifier ou purifier les croyants. Gwenola Breton refuse de considérer qu’il faille se débarrasser d’une partie de soi pour au contraire s’accueillir et se présenter au monde, Entière. Avec La Piscine, elle partage alors la possibilité – dans certains passages de la vie – d’être portée, et de pouvoir se reposer sur d’autres que soi, comme l’eau d’une piscine nous permet de nous sentir plus léger.

Lucile Haute, Rituel pour 201 pommes de terre

Dans un contenant sont réunies 201 pommes de terre emballées dans des papiers recyclés portant des inscriptions. Il y a aussi une vasque d’eau. Lucile Haute s’agenouille et sort une première pomme de terre. Elle l’extrait de son papier, dit son nom, la dépose sur une serviette blanche, défroisse le papier et commence à en raconter l’histoire tout en la caressant. Puis, elle la dépose devant une personne de l’audience. Ces gestes sont répétés jusqu’à former un grand cercle.
Il s’agit d’honorer les vies que nous ingérons. De prendre conscience des trajets de ces choses vivantes dont nous nous nourrissons et des trajets que leur matière parcourt en nous. De comprendre que chaque chose est connectée, la conscience forme la réalité et inversement. Il s’agit de conscientiser des impensés de notre monde. Il s’agit de faire le récit de vie de 201 pommes de terre.

Marie Guégan, Les nourritures terrestres

Marie Guégan pratique une cuisine vivante, végane, qui laisse une large place aux plantes indigènes sauvages. À l’occasion de cette expérience, elle déplace sa pratique vers les champs de la performance et du rituel.
Au centre du repas pris en commun, les 201 pommes de terre racontées par Lucile Haute seront accompagnées par des préparations de base et par les plantes comestibles que chaque participant.e.s aura pris soin d’apporter : le thym folâtre le long d’un chemin de randonnée, le romarin planté par le grand-père… Plus tard, la cheffe prêtera main belle à la performeuse Socheata Aing pour une soupe à l’oignon et aux larmes.
Gaëlle Mahec, Atelier d’auto-observation gynécologique. Cet atelier en non-mixité sera réservé aux personnes ayant un vagin. Il sera co-animé par la sage-femme Gaëlle Mahec et l’ensemble des participantes (20 maximum).
On y partagera quelques bases théoriques et des expériences pratiques comme l’usage d’un spéculum. Ainsi, nous nous réappropriont nos corps, particulièrement nos sexes. Premières concernées, nous affirmons notre légitimité à nous explorer pour construire un corpus de connaissances personnelles.

Hélène Gugenheim, Les obscurs

L’artiste est assise au sol. Un grand sac est posé entre ses jambes comme un trou noir. C’est une proposition de plongeon. Partir en quête d’un verbe caché dans l’obscurité pour ramener à la lumière une invocation qui fera peut-être sens.

En 2017, Hélène Gugenheim a écrit « raté » sur 500 grammes de haricots pour donner corps aux échecs qu’elle a incorporés. Depuis, elle les transporte chaque jour, prend conscience de leur présence. Chaque soir, elle ouvre le sac et l’allège d’un « raté ». Avec le temps, les inscriptions se sont effacées et les haricots sont devenus des objets portant les traces d’une langue qui s’efface : des signes obscurs. Associé à une invocation (un verbe), chacun est emmailloté, entortillé, cousu avec toutes sortes de matières amassées. Les raté se transforment en obscurs porteurs de verbes.

Lise Casazza, Jeter un sort aux monstres

Par fulgurances ou sur des temps plus longs, Lise Casazza entame un rire. Parfois ce rire est petit, parfois elle le laisse grandir jusqu’à secouer le corps tout entier et le faire basculer dans l’état de danse.
Le rire est envisagé ici comme dynamique corporelle, comme mouvement et comme son. C’est un rire pour transformer l’état du corps, rire avec un mur ou bouche plaquée sur un autre corps, déclencher – peut-être – une contagion.

C’est effleurer un état de transe joyeux, impulser une forme de vitalité qui pourrait – si besoin était – convoquer ou exorciser nos monstres internes et pourquoi pas, les éventuels fantômes qui peuplent la chapelle des Cordeliers.

Socheata Aing, S’occuper de ses oignons

L’artiste coupe une dizaine de kilos d’oignons pendant plus d’une heure. Le geste répétitif frôle l’absurde pourtant, il relève d’un acte conscient. Socheata Aing va pleurer, d’abord en réaction au gaz irritant produit par les oignons, et puis à cause de la durée éprouvante de ce geste répété.
À tout moment, l’artiste pourrait s’effondrer et parallèlement, le gaz irritant se diffuse, affecte aussi les autres personnes présentes auxquelles il donne une occasion de laisser des larmes s’écouler.
L’oignon émincé sera ensuite cuisiné par Socheata Aing et Marie Guégan en une soupe assaisonnée de larmes à partager.

EN PRATIQUE

Cette journée aura lieu à la chapelle des Cordeliers, 14 Montée des Cordeliers, Crest, Drôme. Ce lieu est partiellement accessible aux personnes à mobilité réduite (le préciser à la réservation).
La journée est ouverte à toute personne âgée de 16 ans et plus.
Plusieurs performances sont programmées au cours de la journée.
L’espace est également ouvert aux initiatives performatives venant de toute personne participante.

Notre volonté est que cette journée soit co-organisée et alimentée par l’ensemble des personnes en présence. Ainsi, il est recommandé à chaque personne de réserver sa journée entière.

L’accès est gratuit, sur réservation à etdenosbouches@gmail.com
Atelier d’auto-observation gynécologique sur réservation spécifique (places limitées)
Ce n’est pas payant mais c’est engageant. Il faudra apporter plusieurs petites choses qui seront communiquées en temps utile.

Les personnes qui ne peuvent ou ne souhaitent pas s’engager pour la journée entière pourront nous rejoindre à partir de midi.

Une petite restauration végane payante sera proposée sur place.

Cette journée est initiée par l’artiste Hélène Gugenheim, avec le soutien de Jeune Création et de 15 dona.teurs.trices, avec le partenariat de radio Saint-Férréol, du cinéma L’Eden Crest, avec l’aide de Laurence Cernon, Lise Casazza, Gwenola Breton, Malika Baaziz, Aline Comi et tant d’autres, et grâce à l’accueil chaleureux de la chapelle des Cordeliers.

La sorcière, comme la performeuse, jette un sort.
Précisons tout de suite que le devenir de ce sort (son efficacité) n’est pas l’objet. La rentabilité ne nous intéresse pas. Ce qui nous importe c’est que, ni la sorcière, ni la performeuse, ne se résignent. Au contraire. Elles font, selon l’expression de la philosophe Isabelle Stenghers, « surgir un possible ».

On les dira folles parce qu’elles nient être impuissantes. Elles font la démonstration – non pas contre mais à côté de la « raison » et même si la situation est désespérée – d’un possible. Les sorcières et les performeuses ouvrent des interstices qui valent pour eux-mêmes. Ce ne sont pas des promesses d’avenir, ce sont des agencements de choses à un moment donné.
On appelle cela « rituel » ou « protocole de performance ». Cet agencement invoque un autre possible, tout en étant lui-même un possible. Il ne désigne pas ce vers quoi on tend, il est déjà la manifestation de ce que l’on a choisi d’être.
Sorcières et performeuses ne transforment pas (directement) la situation mais la manière dont elles s’y trouvent impliquées. Concrètement, elles font quelque chose avec leur corps – des talismans, des masques, toutes sortes de présences-limites, des gestes, des mots, des sons, des chants, des danses, des musiques, etc. Ce « faire » nous replace comme membres à part entière de notre environnement. Chaque action a du sens.

Les sorcières et les performeuses délaissent la fatalité d’une histoire officielle édictée par d’autres (« c’est comme ça »), au profit de leurs propres rites, gestes, croyances, symboles qu’elles inventent et partagent avec d’autres. Dans une communauté tissée de croyances hétérogènes, chacune peut ainsi apprendre à prendre ce dont elle a besoin pour se métamorphoser. Nous appelons cela magie.
La magie frotte les normes, les limites, dérange les tabous. Elle crée du bizarre, du rêve, du malaise, de l’ombre. Elle suscite des ricanements, du rire et provoque une peur diffuse qui n’ose pas dire son nom. Car il est possible que la catastrophe ne soit pas à venir, qu’elle ait déjà eu lieu. Si tel est le cas, la sorcière comme la performeuse, dansent sur ses ruines et de leurs bouches sortent des diamants, des crapauds et des rires…

Ce texte est en partie et librement inspiré de la postface d’Isabelle Stenghers à l’édition française de Rêver l’obscur – Femmes, magie et politique, Starhawk, éditions Cambourakis.

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