« Mais le monde est une mangrovité »

Prix Jeune Commissariat JC69 remporté par Chris Cyrille

10.01

> 27.02.21

À la Galerie Jeune Création nous présenterons –  » Mais le monde est une mangrovité » , une exposition réalisée par le conteur d’exposition Chris Cyrille, aidé par Sarah Matia Pasqualetti.

L’exposition nait d’un mot-intuition (mangrovité) qui propage autour de lui un conte et des œuvres.

Cinq artistes internationaux exposent une oeuvre en résonance avec un mythe inventé par le conteur, celui du Crabe et de l’Aparahiwa. D’un côté, le conteur imagine à partir des oeuvres et, de l’autre, les artistes inventent à partir du conte. L’histoire est pour nous propagule partagée, roche collective et non propriété individuelle (elle se partage avec la galerie Vincent Sator). Et les contes que nous racontons cherchent à se dégager de l’assimilation la plus étouffante, celle qui colonise nos futurs. Alors nous essayons, incertains, des divinations et inventons des mangles nouvelles où pousseront de nouvelles propagules — et ce mot-songe de mangrovité, d’où venait-il ?

Ces premiers échanges entre le Crabe et L’Aparahiwa :
« Dis-moi, pourquoi t’entêtes-tu à vouloir traverser comme tu le fais ? Vois, sens. Chaque boucle que tu touches se déboucle et les fourmis fuient les premières, elles se donnent coup de pied aux fesses pour tailler, vite !
— Mes traverses sont des ‘critures dans la boue de vos corps, Elles racontent l’histoire de ces terres et celle du désastre »).

Peut-être d’un rêve ou d’une conversation. La mangrovité est matière poétique-politique tout droit sortie de l’histoire patriarcho-coloniale, c’est malgrove, c’est soleil-énergie et vase puante, c’est l’inverse de la mangrophilie de certains discours écologiques néo-coloniaux (qui, sous prétexte de « préserver », dégagent et invisibilisent populations et cosmogonies). Débarrassé des expert·e·s, tu te surprends à rêver la mangrove et à cheminer dans ses secrets et ses lignes pirates — comme ces refuges-rêves que Kelly Sinnapah Mary fabrique en ce moment ou comme la forêt de Makouvia Kokou Ferdinand où tout-moon se perd. Tu laisses au bord de la plage des mots-totems qui ne sont pas faits pour tes pieds (rhizome commissaire scénographie…). Ô, loin de ce monde déchanté, la mangrove invente pour nous l’enfance de peuples sous tentes tipi.

Suite de l’échange :
— « Quel désastre ?
— Si je traverse c’est pour vous apporter une nouvelle qui est que les vagues annoncent l’engloutissement des terres
— C’est enfin !
— c’est un dés/astre !
— Non, une suite. Les eaux montent et frappent comme toi qui romps
— Ou qui trace ; sans mes traces, il n’y aurait pas mémoire de ces lieux, celle d’une première tête qui tombe et libère un soleil sur nos épaules faites (la respiration de l’aparahiwa se faisait plus lente, l’air circulait, sortait-entrait du côté de ses pneumatophores).».

Tu les entends annoncer le collapse, mais tu n’angoisses plus et observes Julia Gault ruser avec le désastre et célébrer le non-gouvernable de la matière au lieu de déplorer son impossibilité à être gouverné. J’entends bateaux pirates et sourires qui sont couteaux cours d’eau. Avant d’embarquer, Minia Biabiany m’a confié son envie de ramener sel de mer et Ludovic Nino m’a murmuré l’histoire, un jour d’abolition, d’un ancien neg-robot qui est mort bouffé par les crabes.

Fin de l’échange :
« Oui, il y a chez toi cette même terre soulevée, cette mémoire que tu portes. Tu te fais beaucoup de mal à porter tout cela et tout seul.
— Mais à part moi, qui d’autres ? (La plante se mit à pleurer, les larmes formaient de petites perles salées au creux de ses feuilles)
— Mais le monde est une mangrovité ! ».

Cette dernière phrase, ce mot de passe qui a été pour nous le commencement, le titre de l’exposition, le coeur d’une mangue recherchée portant avec elle des histoires de terres contaminées dans leur ventre par les griffes du chlordécone véritable écocide et des traces de pratiques aménagistes prédatrices à Romainville. Voilà ce pourrait être une mangrovité, la nécessité de trouver des stratégies pour vivre les pieds dans la merde ou pour ouvrir de nouvelles futurités. Les experts annoncent le désastre, les artistes prophétisent des astres.

Plusieurs collectifs et associations rejoindront l’exposition dans le cadre d’un programme de performances, discussions, lectures, et nous chercherons, dans la nuit de nos intuitions qui ne sont pas des institutions, à collecter des jambes de palétuviers et des cris de mangroves.

Et même lorsque l’oeil d’ouranos descend, tu résistes, le corps dans la main des algues brunes — elles t’annoncent, créolofuturiste.

Exposition collective du 10 janvier au 27 février 2021

Avec : Minia Biabiany, Julia Gault, Ferdinand Kokou Makouvia, Ludovic Nino et Kelly Sinnapah Mary

Galerie Jeune Création
43, rue de la Commune de Paris 93230 Romainville
mer.-vend. 11h-18h
sam.-dim. 14h-18h

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