Les Artistes sélectionnés

71e édition

Valentin Abad

Résilience de la matière, 2018. Sapin massif, 170 x 190 x 11 cm

Par Mary Isitt

Artiste polymorphe, Valentin Abad ne veut pas être associé à un médium précis ni se ranger dans une case spécifique. Sa pratique artistique se définit par la volonté de traduire matériellement les émotions, souvent en lien avec la psychologie et la psychanalyse. En d’autres termes, il souhaite donner corps à l’immatériel. La question du lien unissant les humains est centrale dans sa pratique artistique. Nous retrouvons ces éléments avec son projet Vous pouvez me piétiner. L’artiste se questionne ainsi sur les rapports entre les individus, la manière dont on se parle et les différentes interprétations possibles du langage. Deux entités humaines se font face et conversent entre elles dans ce qui s’apparente à un ring. Ce dialogue est matérialisé par une chaîne, à la fois symbole de servitude et de potentielle libération. L’artiste invite alors à s’interroger sur les affres de la communication.

valentinabad.com

 

Ismail Alaoui Fdili

Ouaissiboulàà : Broken Chairs Of Virtue, 2020. Installation, Béton, Acier, Fibre de Verre, dimensions variables

Par Atlele Soltani

Que restera-t-il après l’effondrement de la race humaine ? Ismail Alaoui Fdili s’intéresse aux êtres humains, à leurs actions, mais aussi et surtout à leur devenir. Dans l’installation Broken Chairs Of Virtue,c’est le béton qui est mis à l’honneur. Utilisé dans les constructions de chan- tier, il devient le matériau principal des chaises conçues par l’artiste. Privées de leur fonction première et éparpillées dans l’espace, ces chaises cassées deviennent les témoins d’un spectacle ayant eu lieu dans une temporalité encore non déterminée. Le visiteur sera ainsi appelé à contribution afin d’élucider le mystère planant autour de cette curieuse découverte. Telle une ruine, elles semblent être la trace d’une vie passée, d’une existence évidente, érigeant de la sorte, la simple chaise au rang d’objet-monument. S’inscrivant dans une fiction probable, ce mobilier pourrait bien faire partie des vestiges de la société humaine, comme un fossile retrouvé par une nouvelle espèce des siècles plus tard.

Simon Asencio

Reading At Random or Turning The Page (or Singing out of Doors), 2020. Lecture communale, partition de lecture pour 4 voix (installation, pièce de tissu imprimée, 600 x 600 cm), meringues, costumes Documentation Bâtard festival et rile* Bruxelles, 2020. © Chloe Chignell

Par Dilda Ramadan

Dans la pratique artistique protéiforme de Simon Asencio, c’est le processus qui prime. Pour l’artiste, ses œuvres matérialisent des
« chorégraphies invisibles » qui impliquent le public dans des situations performatives. L’installation Reading at Random, or Turning the Page (or Singing out of Doors) comprend plusieurs éléments : une partition de lecture à quatre voix, des pièces textiles, des sculptures-appeaux ainsi que des costumes des personnages historiques ou fictifs. Représenté sous une forme de théâtre de poche, le projet met en scène un essai inachevé de Virginia Woolf, qui retrace une histoire de l’anonymat dans la littérature anglaise. L’œuvre de Simon Asencio invite le public à prendre place dans l’espace de la page qui se déploie matériali- sée au sol et à la transformer, avec l’aide de la partition à quatre voix, en une espèce de karaoké analogique. Ainsi, l’artiste problématise, de manière poétique, les enjeux de l’anonymat et de la co-création.

simonasencio.tumblr.com

Luc Avargues

Le buffet tiède, 2019. Performance, ceramique, bois, édition, nourriture © Estelle Chaigne

Par Capucine Buri

Luc Avargues a fait de la nourriture le Cheval de Troie de sa pratique artistique. La nourriture, dans l’acception sociale qui lui est donnée, est vivement connotée par des idées de convivialité, de sympathie; elle est vectrice de rassemblement. En choisissant la nourriture comme matériau, et en invitant le public à interagir avec ses œuvres, Luc cherche à défaire l’idée de préciosité et de sacralité de l’œuvre d’art et à déculpabiliser le visiteur du simple fait de se mouvoir au sein de l’espace d’exposition. Celui-ci quitte son statut de spectateur passif habituel pour devenir partie prenante du processus artistique et activer, transformer voire détruire la matière créée au préalable par l’artiste. Luc Avargues conçoit un espace au sein duquel des serpents- saucisses enroulés autour de branches côtoient des étagères de spaghetti qui présentent des souvenirs de voyages hallucinés. Des performances-rituels s’effectueront au cœur de cet univers avec la participation active des visiteurs, qui seront invités à faire des choix quant au sort qu’ils voudront réserver à l’œuvre.

lucavargues.fr

Camille Benarab Lopez

Porte 1 (le doute), 2020. Impressions jet d’encre sur TPU, sérigraphie sur silicone, résine acrylique, acier, 204 x 88 x 30cm

Par Atlele Soltani

D’une impossibilité de produire des images naît une volonté de se les approprier. Camille Benarab-Lopez collecte et assemble des images dont elle semble nous dévoiler physiquement l’existence dans un environnement domestique. Par de minutieux procédés de décomposition, puis de juxtaposition, l’artiste entreprend de donner corps aux images. Comme un revêtement, le silicone laisse entrevoir par son aspect vaporeux ce qui se cache derrière lui comme une chair qui, transpercée par des rayons de lumière, nous laisse deviner ce qui la constitue. Disposés dans l’espace à la manière d’un mobilier, Écran 2 (sous le soleil) et Paravent 3 (réserve), presque animés, deviennent la manifestation d’une réalité apparemment accessible et tangible. L’image n’étant plus seulement synonyme de contenu, elle devient elle-même objet-contenant dans laquelle on y dépose, renferme, abrite et protège. Elle n’est dès lors plus la reproduction, mais l’incarnation de sa propre matérialité

camillebenarablopez.fr

Vincent Burger

Paysage d’été, 2021. Video HD, 16/9,
08 min.

Par Mary Isitt

Vincent Burger récupère des photographies qu’il trouve sur internet. Il utilise un algorithme qui consiste à créer, par analogie, des ensembles d’images, à partir desquelles il réalise de faux univers. Il envisage la vidéo comme un support de rêverie. Plusieurs influences se retrouvent dans son travail, en particulier la peinture — celle de Bosch, Brueghel et Dalí — et le cinéma, tel celui de Patrick Bokanowski, Derek Jarman et Karel Zeman. Avec Paysage d’été, il travaille sur le mélange des genres cinématographiques (animation, documentaire, fiction, expérimentation). L’œuvre se caractérise par une atmosphère particulière et l’absence de narration. Il s’agit d’une docu-fiction autour d’une civilisation vivant dans un nuage. Filmée à la manière d’un documentaire en plans d’ensemble, la vidéo peut s’apparenter à une sorte d’archive tournée sur pellicule. Un espace fictionnel, inquiétant, voire apocalyptique apparaît proposant aux spectateurs une expérience singulière.

instagram.com/glaive_giskar_jr/

Charles Cadic

Roches mammifères-dissimulaits, 2014

Par Maëva Vatin

Charles Cadic se questionne sur le langage qu’entreprend la lumière, l’obscurité, l’inconscient et l’invisible. Cénotaphe montre l’image en noir et blanc d’une plage d’où la mer se serait retirée, de grandes enceintes monolithiques marquent l’espace de manière régulière et imposante suivant une ligne imaginaire. Par un zoom avant, l’artiste rapproche le spectateur des enceintes afin d’en percevoir le son saturé du bruit des vagues. Entre l’absence de la mer et la présence auditive de celle-ci, l’artiste crée l’objet d’une image, d’un double négatif doppelganger, signifiant sosie en allemand. Comment peut-on rendre présent un fantôme par le son ? Notre compréhension est pervertie par la création de cet espace narratif, ajoutant une distance entre notre faculté de percevoir et le monde qui nous est montré. Par cette absence suggérée, Charles Cadic nous propose une sorte de passage vers un au-delà.

https://vimeo.com/charlescadic

Claire et Morgan

Claire Guetta et Morgan Azaroff

Solicitud épisode 1 (extrait), 2019. Vidéo, 15’44 min

Par Dilda Ramazan

Inspirée par de nombreuses injustices et tensions inhérentes au monde de l’art contemporain, l’œuvre du duo Morgan Azaroff et Claire Guetta, Solicitud, prend une forme de telenovela marquée par une esthétique kitsch poussée jusqu’à l’absurde. Les personnages de la série, tous joués par le binôme, représentent les principaux acteurs du milieu artistique: les curateurs, les directeurs des différentes institutions culturelles, sans oublier les galeristes et les artistes eux-mêmes. À travers la mise en scène humoristique des situations simulées, Solicitud témoigne de la triste réalité professionnelle, parfois toxique, de la rivalité qui existe entre les artistes, ainsi que de l’extrême précarité de ces derniers. Le titre même de l’œuvre est un équivalent espagnol du mot « dossier », l’objet devenu central non seulement dans l’industrie culturelle, mais aussi dans la pratique de chaque artiste contemporain.

claireetmorgan.fr

Anaïs-Tohé Commaret

Capture d’écran de Disparaitre 1

Par Léon Flavier

Le cinéma d’Anaïs-Tohé Commaret trouve son principe dans la pratique documentaire. C’est la rencontre avec celui qu’elle filme qui détermine les formes à venir. Ensemble, ils collaborent afin de faire droit à cet imaginaire en le rendant visible. L’âpreté du réel, les défaites quotidiennes et les victoires intimes se disent dans les termes du langage poétique. Le monde qui se révèle ainsi est un décalque difforme du monde objectif, dont les éléments isolés, étirés et recomposés doivent être saisis selon la logique du rêve. Le sens ne se donne pas de manière univoque, il se cherche au sein de ses films qui fonctionnent comme un réseau de hiéroglyphes. Les évidences éprouvées sont primitives et sensibles bien plus que théoriques. Comme dans un jeu d’enfant, avec la force spontanée de celui qui regarde sans analyser le mouvement de ses regards. C’est aussi valable pour les personnages, souvent saisis dans des perceptions pures : ils sentent, ils écoutent, ils voient, ils touchent, libérés de toute forme d’interaction sociale. Soit que le monde se dérobe, soit qu’ils lui échappent, ils tirent leur héroïsme d’une forme d’indifférence à l’égard de la sphère sociale.

anaistohecommaret.hotglue.me

Félise de Conflans

Poison ivy hearts, 2019. Acrylique sur toile sur châssis formé, 78 x 150 x 8,5 cm

Par Paulin Scavone

Laboratoire d’une imagerie subconsciente où se devinent les regards d’une peintre sur nos mondes et nos rêves, les tableaux de Félise de Conflans s’ouvrent pour nous signifier des ailleurs comme autant de miroirs réfléchissant nos mythes com- muns. Allers et retours ; c’est par un mouvement sans cesse répété, de traversées en traversées, que l’on parvient aux peintures de l’artiste, quand ce ne sont pas elles, par des jeux de perspective fantasmée, qui opèrent le trajet jusqu’à nous. L’image se trouble, une objetisation de la peinture se fait jour sur des supports eux-mêmes flottants, faits de marbre nervuré et d’oxygène condensé; reflets de l’image intangible de l’environnement numérique auquel nous nous confrontons chaque jour. Peinture d’héritage où l’on pressent les aventures surréalistes, dans laquelle l’artiste infuse des figures magiques, des formules ésotériques, des symboles chamaniques et des vanités évanescentes qui racontent une cosmogenèse s’apprêtant à jeter sur le monde un sort nouveau, poétique et pictural.

felisedeconflans.com

Ophélie Demurger

Nous sommes les artistes, 2021, vidéo performance, 8 min

Par Charlotte Marinier

Ophélie Demurger cherche à identifier les rouages de l’univers de la musique et de la starification afin de questionner le flux d’images qui nous enveloppe constamment. L’œuvre exposée analyse et décrypte les mécanismes d’un nouvel objet d’étude: la chanson caritative. Elle réalise un mashup de plusieurs chansons qu’elle dissèque afin d’opérer un travail de réécriture engagée. La création de cette chanson originale est pensée comme une œuvre collective à laquelle les artistes de l’exposition sont invités à collaborer. La chorégraphie du clip reprend les plans et la construction des images dans l’univers caritatif où tout est fait pour atteindre émotionnellement le spectateur. Derrière l’apparence naïve et fédératrice de ce type de chanson, Ophélie Demurger fait une satire percutante de la condition de l’artiste et des stratégies de visibilité dans l’art contemporain. En s’appropriant les codes de la chanson caritative, elle redonne la parole aux artistes invisibilisés par les circuits politiques et ose avec humour le fantasme d’un avenir plus solidaire.

opheliedemurger.com

François Dufeil

Cloches sous pression, 2019. Sculpture, 189 x 130 x 100 cm Avec la collaboration du percussionniste Charles Dubois, produit en résidence au centre d’art contemporain du Parc Saint Léger, Pougues-les-Eaux

Par Malory Puche

Sensible aux traditions et aux savoir-faire ancestraux, François Dufeil conçoit des « sculptures-outils ». « Sculpture », car elles sont toutes façonnées pour leur forme et leur autonomie en tant qu’œuvre. « Outil », puisque chacune d’elles a une véritable fonction et peut être activée par la seule force du corps physique. Elles sont donc bien loin de la machine aliénante. Cloches sous pression est un instrument de musique à eau créé pour le percussionniste Charles Dubois, composé de différentes bonbonnes et extincteurs, découpés et transformés. Il est relié, par des tuyaux et des vannes, à un château d’eau alimentant l’instrument en eau. L’eau ruisselant dans les tuyaux et la pression contenue dans les bonbonnes provoquent, sous les frappes des baguettes du percussionniste, des notes et des sons particuliers qui chargent l’eau d’une certaine musicalité. À la manière d’un sablier, le morceau dure le temps que l’eau s’écoule en totalité.

francoisdufeil.fr

Romain Dumesnil

L’animal que donc je suis, 2017. Ecosystème socio-chimique, matériaux organiques, minéraux, végétaux,
lumière et visiteurs, dimensions variables

Par Léna Millerand

Après un voyage d’étude au Brésil en 2011, Romain Dumesnil décide de s’y installer. La découverte du pays l’a invité à se questionner sur ses perceptions et à se reconnecter aux éléments, à la vie dans toutes ses dimensions. La confrontation aux premières spiritualités, notamment animistes, l’a stimulé dans ses travaux. En effet, il est fasciné par ces rituels et cette capacité à regarder au-delà même de la matière. Selon lui, une interconnexion subsiste entre toutes les choses, qu’elles soient matérielles ou immatérielles. Ainsi, Romain Dumesnil cherche à rendre perceptibles les liens du monde. Il brise les frontières établies par nos sociétés en créant des écosystèmes artistiques où dialoguent minéral, végétal et animal. Dans Wet Desert, il met en scène un cadre systémique malléable au sein duquel évoluent les différentes matières. Les phénomènes physiques, les objets rapportés et le public forment un écosystème savamment orchestré. Il rend visible la notion d’atmosphère et invite le spectateur à se questionner sur la perception des réalités invisibles.

romaindumesnil.com

Thomas Dupal

Diary, 2017

Par Nadjejda Hachami

Inspiré directement par l’histoire de la Chaufferie, anciennement destinée à la production de médicaments pour les laboratoires
Roussel, Thomas Dupal nous présente sa performance HYPERSCULPTURE : dans les pas de Paracelse, alchimiste et père de la pharmacologie moderne connue pour ses extravagances langagières, c’est de manière très théâtrale qu’il a pour objectif premier de nous vendre de la guérison. Il s’adresse à nous depuis une estrade, encouragé par les fantômes du lieu. Nous plongeant dans une ambiance de show à l’américaine, entre mantras chamaniques et codes empruntés à l’univers de la biotech, Thomas Dupal utilise le langage comme une arme capable de soigner miraculeusement toutes sortes de maux.

thomasdupal.com

Coline Dupuis

Rencontre au lavomatic (1) – (détail), 2021. Série : Joliette, huile et acrylique sur toile, 20 x 30cm

Par Sarra Ben Rached

Avant de se mettre à la peinture, Coline Dupuis a pratiqué la vidéo documentaire. En raison du confinement, elle se tourne vers quelque chose de plus matériel et de plus solitaire. Elle commence la peinture en série pour pouvoir continuer sa pratique artistique. Elle élabore ici un projet de quatre peintures à l’huile sur châssis rond qu’elle appelle Les Tondi – au pluriel de Tondo en italien qui signifie ronde. Il s’agit d’un format très ancien qu’elle souhaite réactualiser. Ses peintures de 50 cm de diamètre évoquent les “stories instagram”. L’artiste peint des lieux architecturaux et interprète le souvenir des personnes qu’elle a pu croiser pendant sa balade limitée à une heure, dans son quartier à Marseille. Ainsi, elle fige ces instants et, par la peinture, elle en change la temporalité. Pour ce projet, Coline Dupuis s’inspire de deux artistes portraitistes : le peintre Gideon Rubin et la photographe de presse Nadège Abadie.

colinedupuis.com

Mara Fortunatović

Electra, 2021, câbles électriques, anneaux inox, prises, dimensions variables

Par Jorge Sanchez

L’installation de Mara Fortunatovic présente un ensemble de sculptures et de macramés de câbles électriques blancs suspendus. L’artiste donne à ces derniers une dimension, non plus seulement ornementale et décorative, mais également fonctionnelle. Source d’énergie pour les autres artistes de l’exposition et leurs installations, mais également pour le public invité à se connecter littéralement à l’environnement de l’artiste, ces câbles interrogent le visiteur sur la nature des objets qui l’entourent. Ces œuvres peuplent l’espace brut et bétonné avec la pureté du blanc et l’élégance des courbes, elles altèrent la vision des volumes et invitent le spectateur à découvrir un espace hybride, un entre-deux intriguant. Les sculptures de Mara Fortunatovic se situent ainsi dans une approche phénoménologique qui questionne la perception. Elles se composent de divers matériaux s’apparentant à des formes inachevées, voire esquissées, et trouvent dans ces jeux de sinuosités et d’ambiguïtés toute leur sensibilité.

marafortunatovic.com

Alexis Gallissaires

Les saintes Maries de la mer (Sara), 2020. Dessin au crayon gris, 150 x 200 cm.

Par Léa Strzelczyk

Dessinateur hyperréaliste, Alexis Gallissaires nous invite au théâtre antique avec son œuvre Retour à Thèbes. Épris de mythologie grecque, l’idée de la réalisation de son triptyque prend source dans la tragédie d’Euripide, Les Bacchantes, et plus spécifiquement dans le personnage de Dionysos. L’univers des contes et légendes hellénistiques le touche particulièrement et notamment la propension qu’en ont les récits à exposer la nature de l’humain sans la juger: «Nous sommes entiers. Misérables et miraculeux. Là, nous pouvons y être infinis et pardonnés ». L’œuvre se situe dans l’environnement théâtral qu’est le quartier Saint-Jacques, un bidonville dionysiaque au cœur du centre historique de Perpignan, où vit dans l’insalubrité la plus totale, la communauté gitane. L’antique amphithéâre grec est représenté par ce grand format en triptyque qui nous incite à prendre place et à assister à la narration que l’artiste met en scène.

Mathilde Ganancia

La réforme de la vue, 2020. Huile sur tissu, feutre sur polystyrène, 240 x 150 cm

Par Lou Tabourin

Dans ses différents projets, Mathilde Ganancia mélange les médiums. Le centre de gravité de sa pratique est la peinture. Cette dernière est complétée par des morceaux de tissus et des objets divers, alliage permettant d’allouer à la peinture un degré de transférabilité et de maniabilité en jouant avec la transparence. Tous ces ajouts donnent du volume à la toile, l’habillent et l’ornent. La notion de déguisement est centrale dans ses projets. Les œuvres fonctionnent avec des micro-récits en forme de textes ou de bandes sonores. Cette partie fiction- nelle ajoute un nouveau degré de transformation des peintures. Celles-ci peuvent être appréhendées seules, les textes aident à leurs métamorphoses et permettent de les façonner en tant que lieu de
narration.

Wenqian Gao

The encoffiner of data, 2020. Vidéo, 10min7s, 1920*1080

Par Yijun Chen

Comment traiter les données sur internet laissées par les défunts ? En inventant un métier du futur: le thanatopracteur de données, Wenqian Gao évoque les problématiques liées à l’éthique de la mémoire de ces dernières. S’inspirant du monologue d’un croque-mort, il nous plonge dans des tombes de données, représentées selon la chronologie d’un cycle de vie humaine. Dans cette vidéo, les images recueillies sont liées à la vie de l’artiste, comme les photos d’un album familial, les publications de ses proches sur les réseaux sociaux, etc. Selon le processus de transformation de la deuxième à la troisième dimension, l’artiste nous dévoile l’impact de la technologie sur la reconstruction de notre mémoire, en simulant une vie algorithmique formée uniquement de traces virtuelles. À la fin de la vidéo, l’expression « Dust to dust, dirt to dirt¹ » indique que les données reposent en paix, mais l’enquête sur nos existences se prolonge toujours.
¹ “De la poussière à la poussière, de la saleté à la saleté.”

gaowenqian.com

Julia Gault

Fondations (détail), 2020. Argile crue, dimensions variables
© Salim Santa Lucia

Par Malory Puche

Julia Gault produit des installations qui questionnent le geste du bâtisseur et le désir d’ériger la matière. Dans ses créations, elle provoque des rencontres entre des matériaux antinomiques et laisse une véritable autonomie à cette dernière. Une tension se dégage, on perçoit un équilibre fragile, instable. La substance se dissout, se décompose, se délite ; elle donne du mouvement à la sculpture. La destruction de l’œuvre n’est pas une fin en soi, plutôt une continuité. L’installation fait écho aux chantiers de Romainville. À l’extérieur, des modules architecturaux composés de béton et de barbotine d’argile évoquent une construction en cours ou en ruine. En subissant les intempéries, la terre fond, laissant du vide et donnant une certaine fragilité aux modules. À l’intérieur, une installation immersive constituée de milliers de billes d’argile forme un dessin rigoureux, une sorte de cartographie pour une future construction, qui questionne notre relation au sol. L’ensemble glorifie l’état mouvant de la matière, passant de la forme à l’informe tout en transformant son état spatial.

juliagault.com

Thomas Guillemet

Bot or not to bot/DYSAFFORDANCE, 2018.CNC gravure laser et Monotype, 250 x 120 cm

Par Ekaterina Nechaeva

Thomas Guillemet présente une démarche artistique sous les aspects les plus divers et multiples en faisant discuter arts, sciences et ingénierie. Les grilles et les carrés l’obsèdent, tout comme le pixel qui, selon lui, est le plus petit dénominateur commun que nous ayons aujourd’hui. À l’aide d’un dialogue avec la machine, relevant les mutations des langages technologiques, il étudie de nouvelles symboliques. Ses projets montrent comment des valeurs attribuées aux objets du quotidien peuvent conduire à l’émergence d’une communauté et à de nouveaux modes d’expression. L’artiste souligne comment ces derniers sont capables d’être réinterprétés en fonction du contexte au fil de la contemporanéité. Ayant une approche particulière de sa propre dyslexie, Thomas Guillemet ne cherche pas de formes logiques pour se rassurer dans sa pratique. À l’opposé, il consacre son travail à tester la machine et à affirmer qu’elle n’est pas encore assez prête à comprendre la beauté d’un moment instantané et divertissant.

thomasguillemet.com

Célia Hay

Wake for a horse (part I), 2021. Vidéo (Super 8), 7:30 minutes

Par Lou Tabourin

À travers les deux vidéos présentées, Célia Hay souhaite aborder le thème de la disparition. Elle nous fait découvrir la première partie de son projet Wake for a horse (Veillée pour un cheval), tourné en Super 8. L’artiste a cherché à présenter le destin funeste d’un équidé au sein d’un univers onirique sans toutefois montrer de manière frontale la mort de l’animal. Le rouge vermillon de la fin de la bobine suggère la transition entre la vie et la mort. Le second personnage de ce film, la poétesse vagabonde, est une Pythie des temps modernes. Accompagnée de son lithophone — instrument de musique datant de la Préhistoire, elle accomplit un rituel, un thème important dans le travail de Célia Hay que l’on retrouve dans le second film. Ce dernier, présentant un corps oscillant entre la vie et la mort, entre la disparition et le baptême comme une étape dans ce cycle, est la prolongation d’un travail photographique autour des fantômes japonais.

celiahay.fr

Jennifer Kendzior

Icecream Lovers, 2019. Acrylique sur papier, 90 x 125 cm

Par Xu Lucong

La peinture de Jennifer Kendzior s’inscrit dans ce qu’elle nomme le « flux de la conscience pictural ». C’est une forme de monologueintérieur, transmis de manière fluide et organique à travers ses sujets de prédilection que sont l’intime et la violence. L’artiste visualise des sensations corporelles, souvent douloureuses, créant une vibration synesthésique. La jouissance des couleurs nous fait plonger dans un univers de désir et de fantaisie. Ici la surface de la peinture devient un nouveau labyrinthe narratif, ses personnages, ses animaux et ses créatures fantastiques surgissent dans un déploiement non-linéaire. Dans ses peintures, l’espace paraît comme un entrelacs de différentes cultures, l’artiste mêle des détails ethnographiques liés à son expérience de vie dans divers pays (Angleterre, États-Unis, France, Sri Lanka, Indonésie, Italie, Malawi et Kenya). S’inspirant des miniatures islamiques et indiennes, elle utilise une surcharge de motifs colorés, des flores et des faunes, éléments puisés dans le livre du Kamasutra.

https://www.instagram.com/ani.malize/

Raphaëlle Kerbra

Si (1-bit computer), 2021

Par Camille Rondane

Raphaëlle Kerbrat propose une matérialisation du numérique par la déconstruction de ses composants. En réinterprétant la notion de feedback, elle réutilise les matériaux à l’état brut pour proposer un nouveau regard sur les appareils numériques qui nous entourent. Par cette utilisation esthétique des composants, l’artiste rend sensible des éléments que l’on cherche d’habitude à dissimuler. Après avoir retravaillé le matériel technique dans des formes plus organiques, le numérique s’imprègne alors d’une nouvelle poésie. Si (1-bit computer) est un ordinateur à cœur ouvert. De cet ordinateur décomposé, l’artiste crée un dispositif électronique à échelle humaine. Elle prélève seulement une partie d’un système logique, agrandie sur une échelle x100 000, afin de réaliser des opérations 1-bit. Les transistors sont multipliés et présentés sous la forme brute de morceaux de silicium, auquel le titre emprunte au tableau périodique des éléments le symbole chimique, Si14. Le fonctionnement intérieur de l’appareil numérique est ainsi dévoilé d’une manière à la fois archaïque et poétique.

raphaellekerbrat.com

Lucie Khahoutian

We Are Our Mountains, 2017. Impression sur vinyle, Impression sur satin, Tapis 250 x 200cm.

Par Dilda Ramazan

L’artiste arménienne Lucie Khahoutian traite les questions de l’identité et de la mémoire à travers des médiums comme la photographie, le collage, l’installation ou encore le textile. La totalité de ces derniers est présente dans son œuvre Reality Check. En effet, il s’agit ici d’un ensemble cohérent de différentes pièces : le dispositif évoquant une fenêtre ouverte sur l’Arménie, les portraits collages créés à partir de photos d’archives et reliés avec un tapis, la sculpture avec trois grenades, symboles de fertilité, de trinité et de la terre d’Arménie. Ces codes visuels très forts, associés à l’identité caucasienne, produisent une atmosphère de sacralité et d’intimité. Par son esthétique kitsch voulue, Reality Check propose un commentaire critique sur le regard caricatural et orientaliste que la France a sur les pays étrangers. Le titre, quant à lui, fait un clin d’œil non seulement à la pratique de l’artiste qui côtoie la réalité et la fiction, mais aussi à la couverture médiatique plutôt faible de la guerre au Haut-Karabakh.

thelivewildcollective.com

Kealan Lambert

Tout Roule, 2020. Scarabée, Roue Lego, Boite plexiglass, 8 x 5 x 3cm

Par Malory Puche

Kealan Lambert puise son inspiration dans la contemplation, l’observation et l’étude de la nature. Il mêle dans ses installations art, philosophie, poésie, science et géopolitique, nous invitant à prendre le temps d’admirer la beauté de la nature et des éléments qui la composent. Lors de ses promenades, il collecte, cueille et récolte divers éléments qui constituent par la suite des collections aussi bien minérales que végétales, animales qu’artisanales, voire issues de la culture industrielle. L’artiste présente un espace aménagé nous proposant un nouveau choix de vie qui tend vers une « désanthropisation ». En entrant dans ce lieu, nous avons accès à des vidéos, du mobilier et à divers objets manipulables, certains ordinaires d’autres plus précieux, créés de manière instinctive au gré de ses rencontres avec les matériaux. À travers cette installation, il questionne notre place dans le monde et notre rapport à l’environnement au sens large, tant spatial que social.

kealan-lambert.com

Lucas Leglise

Cafetières (Hario V60), 2019. Photographie sur papier positif direct ars-imago,
4 x 5 cm

Par Kyoung-Ju Lee

Le travail de Lucas Leglise est un miroir tendu à la photographie, amenant à s’interroger sur la distance entre le monde et son reflet. Il s’attache à découvrir la façon dont le sujet de la photographie fabrique lui-même son image afin qu’elle s’inscrive dans ce qu’elle dépeint. Cafetières est ainsi réalisé avec un développement photographique au Caffenol, consistant à remplacer les éléments chimiques du révélateur par un produit du quotidien. L’artiste a revisité cette méthode pour montrer plusieurs images de la machine en les développant avec son propre café. Cette transition pourrait être considérée comme une tautologie, relevant de la relation d’analogie entre contenu et contenant. Chaque cafetière produit alors une forme de répétition en boucle de l’image, entre ce qu’elle représente et ce qui la développe pour parvenir, en raison de la technique utilisée, à un résultat unique et imprévisible. Elle ne s’inscrit plus alors dans la relation à autre chose, mais est intériorisée en tant qu’image d’elle-même.

lucasleglise.com

Margaux Lelièvre

Emploi du temps (Juin 2019), 2019. Pavé, 26 x 24 x 21cm.

Par Yijun Chen

Privilégiant l’intime, l’ordinaire, la récupération, Margaux Lelièvre créée un poème du quotidien. À travers des gestes simples et répétés, elle aime produire des décalages, parfois minimes. Les peaux de clémentines, les coques de noix, les mouchoirs en papier et les assiettes composent un lexique de l’habituel, du familier. L’artiste les décale, les inverse, les ponce, les transforme et tisse ainsi un dialogue par l’assemblage des objets. Au cœur de la variété des matériaux, la notion de temporalité est souvent présente. Margaux Lelièvre fige son temps personnel, fugace, dans des matériaux durables et nobles, tels que les pavés, tandis qu’elle s’attarde sur des matériaux anodins. À chaque exposition, elle expérimente différentes possibilités d’assemblages, temporaires et ouvertes. Elle nous donne à voir une pluralité de matérialités et de textures qui jouent avec notre perception et nous invitent à prêter une attention nouvelle aux choses.

margauxlelievre.com

Antoine Liebaert

La Voie du Nord, 2020. Installation, techniques mixtes, dimensions variables © Nicolas Dewitte

Par Maeva Vatin

Antoine Liebaert est imprégné par de nombreux systèmes de représentation, qu’il extrait de son enfance et de ses expériences intimes. Son installation se compose de sculptures et d’images portant aussi bien des symboles archaïques qu’ultramodernes. L’art brut et l’art modeste suscitent chez l’artiste un grand intérêt pour la part magique des œuvres et du merveilleux présent dans nos vies. Au centre, la borne d’arcade contient son projet La Voie du Nord, un jeu vidéo construit durant le premier confinement, s’inspirant des codes énigmatiques orientalistes et maçonniques, pour élaborer une mythologie personnelle. Antoine Liebaert crée des symboles qui se retrouvent à la fois dans son jeu vidéo et dans ses sculptures, comme La Mêmoire Sûr-vive, « œuvre transitionnelle réactualisée », sous la forme d’une clé usb reprenant les techniques du bronze. L’artiste fait resurgir dans notre culture actuelle, faite de croyances et de pulsions cachées, la question de l’animisme et des fondamentaux d’une culture primitive.

antoineliebaert.fr

Charlotte Mano

Jeune fille au chapeau, 2017. Photographie, 150 x 105cm

Par Lou Tabourin

Charlotte Mano, habituée des expérimentations autour du médium de la photographie, a choisi de nous présenter trois images de sa série Portraire. Sans intervention numérique, à l’aide d’un jeu de distance avec ses modèles et d’un voile mystérieux entre ces derniers et l’objectif de l’appareil, elle arrive à capturer des corps vaporeux, presque irréels. Vision picturale, nous sommes face à des images mentales, des présences absentes, des portraits contemporains. L’artiste assoit le doute entre peinture et photographie en tirant ses images sur une fibre de mûrier, un papier japonais de grand format. Portraire reprend et détourne les codes de la peinture classique. Le titre de la série provient de l’ancien français et signifie dépeindre, vouloir faire un portrait peint. Habituellement les figures nous regardent, ici elles sont de trois quarts où nous tournent le dos.

charlottemano.com

Rayane Mcirdi

Le toit, 2018, Video, 6:41

Par Atlele Soltani

Animé par un besoin insatiable de montrer Gennevilliers et Asnières-sur-Seine, Rayane Mcirdi, dans une approche quasiment ethnographique, donne à voir par la parole. Placés au centre de son travail, les habitants de la ville sont des protagonistes incarnant leurs propres rôles et racontant leurs histoires, toutes aussi différentes les unes que les autres. Récits biographiques, ruptures amoureuses, vie quotidienne ou croyances mystiques sont autant de thématiques qui préoccupent l’artiste. Loin des préjugés liés au fantasme de la dangerosité, Gennevilliers devient le lieu-événement où se côtoient réel et fiction. Les bords de l’Oise raconte l’histoire d’un jeune homme possédé par un jnoun (génie), une entité maléfique qui le forcerait tous les soirs à s’aventurer près de la rivière. Selon certaines croyances du monde arabo-musulman, les cours d’eau seraient le lieu de vie de ces mystérieuses et invisibles créatures. D’autres racontent même que c’est dans l’eau que se trouverait la demeure du Diable.

Jonas Moënne

Mon vert est dans l’âtre, 2020. Déchets multiples de verres, assemblages, cuisson haute température et câble acier, 60 x 29 x 25 cm

Par Rébecca Théagène

Les trois œuvres de Jonas Moënne naissent d’une hybridité : fusion de la terre, de la pierre et du métal dans David et Goliath, amalgame de dizaines de bouteilles de bière en verre se métamorphosant en une masse mystérieuse dans Mon vers dans l’âtre et réactualisation de la pratique des gravures rupestres dans Année 0 qui expose le paysage hétéroclite quotidien de l’artiste, ainsi que ses réflexions et combats politiques, écologiques et sociétaux. Ces pièces résultent d’un assemblage de matériaux et de la rencontre de diverses techniques artisanales que l’artiste détourne et expérimente. Il puise avec habileté dans ses apprentissages pour déconstruire et désapprendre, comme en témoigne l’utilisation de la céramique dans David et Goliath : combinaison de terre, de pavés et de fer. Jonas Moënne forme des écosystèmes qui s’interpénètrent, se complètent et se répondent dans une réflexion résolument égalitaire, où tous les matériaux se valent parce qu’ils sont porteurs d’histoires et d’expériences personnelles.

moenne.com

Gabriel Moraes Aquino

Parade Crue, 2020. Dimensions variables, Action urbaine et Vidéo installation: ensemble des photos,
notes, documents, uniforme de soldat entièrement en coton brut et télévision.

Par Lucong Xu

La question de l’exotisme perturbe l’artiste depuis son arrivée en France. D’origine brésilienne, il choisit de confronter des images et des objets stéréotypés qui caractérisent le « paradis tropical ». Des fruits chargés de symboles, comme le coco de la fortune, sont fabriqués en coton, une matière légère, facile à transformer. Selon Gabriel Moraes Aquino, c’est une « simulation » qui questionne sa forme, sa couleur et ses symboles. Il réalise une série d’images fantomatiques de palmiers à partir de recherches étymologiques en rapport avec l’exotisme. Un jeu de prédiction sur le futur, réalisé à partir du Yi Jing (un livre chinois d’usages des oracles), est proposé aux spectateurs. Cette œuvre est à la fois un espace ludique et un rituel qui détourne l’exotisme de ses sens coloniaux, provoquant un décloisonnement à travers une expérience tactile afin de créer des liens entre les spectateurs de différentes origines et de différentes cultures.

moraesgabriel.com

Nano Orte

Happy to see you again, 2021. Bâche plastique

Par Lucong Xu

Nano Orte utilise des images «prêtes-à-porter», achetées directement sur des sites de banques d’images. Les images sont employées sans modification, avec une volonté de conserver leur connotation commerciale. Elles sont présentées ainsi dans des grands formats qui renvoient à cette dimension publicitaire. En gardant cet aspect, l’artiste entend faire surgir un ton ironique. Il s’inscrit aussi dans une démarche appropriationniste : il n’est pas l’auteur de ces images et laisse volontairement les watermark des sites. Il ne produit pas, mais il offre ainsi une relecture de ces formes visuelles engendrées par le capitalisme. Nano Orte propose, à l’extérieur, la photographie d’un chien courant dans l’herbe. L’œuvre entre en relation avec une culture très contemporaine du partage d’images comme nouveau moyen de communication numérique. Ces dernières prennent le rôle de commentaires, s’affirment comme une autre forme de discours. En y introduisant cette photographie de grande dimension, l’artiste souhaite aussi confronter l’exposition à une image de consommation rapide, ayant peu de valeur intellectuelle et sans vocation à faire œuvre.

Lucie Planty

Siècle dernier, 2017-2021. Installation de 100 livres format 32 x 45 cm, exemplaires uniques

Par Rébecca Théagène

Siècle dernier, qui aboutit après plus de quatre ans de réflexion et d’attente, est née d’un travail d’analyse, de sélection et d’édition d’images contenues dans le quotidien italien La Stampa, aujourd’hui numérisé et archivé en ligne. L’œuvre est constituée de cent livrets qui retracent chronologiquement l’actualité de 1900 à 2000. Le contenu, noirci par la numérisation pour laquelle a été privilégiée la forme textuelle à la lisibilité visuelle, produit des « images mortes » qui sont ici dissociées de tout texte ou contexte. Chaque photographie perd son but et son statut informatif ou illustratif. Elles ne témoignent plus de l’Histoire, alors même que la numérisation de ces archives aurait dû en offrir une meilleure diffusion et compréhension. Face à ce mur, cascade de papier en bas-relief, Lucie Planty nous invite à manipuler et consulter cette collection à la recherche d’une signification possible de l’Histoire.

lucieplanty.com

 

Paolo Pretolani

Sciarazad, 2020. Oil and metal leaf on jute, 120 x 150 cm

Par Xu Lucong

Paolo Pretolani peint avec des matières protéiformes : peinture à l’huile, feuilles de métal, graphites ou aluminium. Il mène une recherche sur le caractère spécifique de chaque surface. Son imaginaire est traversé par les représentations artistiques des illustrations scientifiques du 19ᵉ siècle, des peintures médiévales, des peintures rupestres, des tapisseries, et autres motifs décoratifs, ainsi que des natures mortes provenant de lieux lointains, lointains autant dans le temps que dans l’espace. Les sujets de ses peintures se dissolvent dans une abstraction à la fois poétique et intuitive qui appartient à une dimension intangible. L’artiste porte souvent un regard d’observateur extérieur sur ses images en cours de réalisation, il s’interroge à froid sur la signification des formes liées au subconscient, tout en exacerbant la tension entre la matière et l’idée. Selon lui, ce qui « se voit » et ce qui est « caché » sont intrinsèquement liés par nos sens. C’est ainsi que les caractères purement physiques, visibles et tangibles des matériaux façonnent l’image.

instagram.com/paolo.pretolani/?hl=fr

Nicolas Puyjalon

Au clair de la Lune, 2013. Performance

Par Nadjejda Hachami

Tel Sisyphe, Nicolas Puyjalon tente de gravir une montagne ardue, emportant avec lui une valise pleine de lectures et de matériaux divers qui le font évoluer et avancer. Ce bagage ne cesse de tomber. Ses performances sont à la fois des échecs spontanés et des péripéties théâtralisées. Pour chaque action, il s’approprie l’espace dans lequel il se trouve avec le scotch qui souvent l’accompagne et dessine sa zone de narration. À la fois maladroit et persévérant, il transforme de simples morceaux de bois en un univers onirique. Il fait alors appel à notre imagination pour voir autour de lui les décors d’un monde fantasmé. Avec rien, ou très peu, il nous embarque dans des aventures presque burlesques et nous nous retrouvons, sans introduction, à naviguer avec lui dans ses étranges paysages. Son esprit bricole, déambule et se débat contre des forces invisibles jusqu’à trouver l’échelle précaire qui le mènera, même quelques secondes, vers un but désiré.

Gabriele Rendina Cattani

THE MELLIFIED MAN, 2020. Text, sound and animated images, Variable dimensions
Commission for the project “Digital Cosmos” curated by Carolyn Christov-Bakargiev and Giulia Colletti Museo d’Arte Contemporanea Catsello di Rivoli, 2020.

Par Capucine Buri

Gabriele Rendina Cattani crée à l’intersection du son, de l’écriture et de la performance. Depuis 2019, il se concentre sur la thématique de la performativité de la valeur et de l’économie libidinale. Il explore par ce biais les relations entre désir et économie, entre désir et technologie. L’idée de performativité de la valeur fait référence à l’expression de Pierre Klossowski du corps comme « monnaie vivante », comme dispositif alchimique d’une valeur toujours à fabriquer. Gabriele présente ici une version performative de son texte-rituel de mellification; traité pharmacologique qui nous apprend à devenir miel. À partir d’une pratique à l’origine performée pour conserver les cadavres et les rendre pareils au miel afin d’être avalés par une communauté comme une médecine, l’artiste se tourne du côté des thématiques du soin, de l’hygiène morale, sociale et économique. Des compositions sonores, des lectures de passages du traité et d’autres ouvrages, des objets éphémères et des assemblages s’associeront pour activer ce rituel de manière libre et spontanée.

Lola Roiné

Arrangements, 2019. Lamelles de microscope, poids en laiton, 2,7 x 11,5 x 10,4 cm

Par Rébecca Théagène

La pratique sculpturale de Lola Roiné prend souvent la forme de pièces en verre soulignant et magnifiant des éléments d’architectures discrets ou auxquels on ne prête pas attention. Ici, dans un abri individuel et intimiste, dont l’intérieur est recouvert de verre, elle offre une expérience d’observation singulière. Le spectateur est invité à une contemplation de cet espace clos, à la forme anthropomorphe, inspirée par la niche d’une ancienne fenêtre florentine. Du simple cadre qu’était cette fenêtre, l’artiste construit un espace pénétrable par le spectateur. Ce dernier, fermé telle une impasse, conduit à l’observation de cette architecture souvent peu considérée. La fenêtre, usuellement pénétrable par le regard, qui la traverse sans s’y arrêter, devient sujet. Le regard n’y plonge plus avec un désir de voir plus
; il se concentre sur sa forme, ses matériaux, les jeux de réflexion de lumière, les lignes et les dessins formés par les plaques de verre.

www.instagram.com/lolaroine/

Mathilde Supe

Plaidoyer, 2021. Avec Elisa Somat, juriste, durée approximative 14 minutes

Par Capucine Buri

Mathilde Supe s’intéresse, dans l’écriture et la production de ses films, à ce qui fabrique de la norme. À l’origine survient un questionnement formel du cinéma sur le système des blockbusters qui engendre l’uniformisation des imaginaires. De fil en aiguille, elle se tourne vers des thématiques sociales et en particulier vers la question de la représentation des femmes et des injonctions qui régissent la manière dont on doit se comporter. Dans l’œuvre qu’elle présente ici, l’artiste montre la façon dont la prise de parole d’une avocate du droit des familles, lors d’audiences pour des divorces, est subtilement préparée en amont. Elle s’intéresse à l’aspect théâtral des plaidoiries, à l’aspect performatif de la parole au sein du métier. À travers la mise en scène de l’avocate qui prépare ses audiences, elle crée un film sentimental afin de retrouver de l’humain au sein d’histoires qui répondent au schéma classique d’institution du mariage hétéronormé. Comment nos vies, dans leur aspect le plus intime, peuvent-elles être réduites à des décisions juridiques ?

mathildesupe.com

José Taborda

Overachiever, 2019. Polished Aluminium, high density foam, pigment, resin, pvc,
stainless steel, 20 x 20 x 125cm

Par Ekaterina Nechaeva

Ouvert à différents médiums et techniques, José Taborda, à travers ses sculptures et installa- tions, nous invite à questionner la notion de temps, ainsi que notre perception et notre relation à l’efficacité. L’artiste considère que ses œuvres sont porteuses de « concepts très façonnables » qui mettent les observateurs au défi de redécouvrir ce qui les entourent. Ici, différents domaines tels que la mécanique, la peinture, l’optique, le son, la biologie s’unissent pour faire une approche complexe de la substantialité. Chacune de ses œuvres existe dans un univers indépendant. Après avoir regardé la vidéo à travers l’aquarium de Reality N.5, nous considérons les limites de notre perception. Nous sommes alors contraints d’accepter l’existence d’un temps non linéaire. Tout comme l’installation Lag, qui relie le maintenant, l’image de la conséquence possible d’une action et la liberté d’agir. Permettant à l’individu de penser en trois dimensions : l’objet, l’idée qu’il s’en fait et ce qu’il pourrait en faire. L’œuvre Overarchiever remet naturellement en question la nécessité d’anticiper.

josetaborda.com

Vincent Tanguy

The Convenient Life, 2019. Performance multi-plateformes, 5 jours

Par Kyoung Ju Lee

À travers un ensemble d’œuvres protéiformes, Vincent Tanguy révèle les changements latents, issus des transformations de la société. Lors d’un séjour en Chine, il a observé un mode de vie hyper-connecté et l’explosion du commerce en ligne, ce qui l’a conduit à réaliser The Convenient Life, une performance prémonitoire d’auto-confinement où il survit pendant plusieurs jours uniquement avec son smartphone et des applications de livraison à domicile. Au lendemain de l’arrivée de la sonde chinoise Yutu-2 sur la face non visible de la Lune, il se met à créer avec les unes des journaux une mutation esthétique, intitulée Les faces cachées, qui transforme les images des paysages lunaires en un monde bipolaire, révélé par la lumière naturelle du Soleil. Une autre coïncidence est aussi dévoilée par Été 99 à travers une photographie de lui enfant portant un maillot floqué Pinault, comme la personnalité publique du monde de l’art. La sculpture Connection Stadium en regard de cette image porte aujourd’hui un tout autre sens.

vincenttanguy.net

Laure Tiberghien

Sans titre, 2018. Tirage chromogène unique sur papier métallique, 30 x 40 cm

Par Jorge Sanchez

Laure Tiberghien construit ses pièces avec des techniques propres à la photographie argentique, qui lui permettent de capturer la lumière et d’obtenir des compositions abstraites. Au-delà d’aspirer à des effets purement visuels, elle explore les variations chromatiques des formes sensibles à travers le temps et l’espace. Les nuances visibles continuent de représenter des objets réels, mais elles révèlent plutôt leurs spatialités diffuses dans la lumière. Chaque couleur a une signification mais dans son travail elle est avant toute chose l’interprétation d’un événement passé retranscrit sur le papier. Cet événement est invisible à l’œil nu, mais le résultat est tout de même une retranscription du réel. Laure nous présente ici quelques éléments de la série Solar, dans laquelle elle a exploré les potentialités de ses techniques reliant contemplation et recherche sensible, trois Metallic#3 et des Unités dispersées comme des comètes.

lauretiberghien.com

 

Marijke Vasey

Goldsmiths MFA Show 2019. Huile, acrylique et peinture aérosol sur toile, 150 x 190 cm et 120 x 150 cm.

Par Paulin Scavone

Marijke Vasey invite à une contemplation solennelle et mystique. En ouvrant les portes vers d’autres ailleurs, par une peinture infusée de ses références à l’art décoratif, par les symboles actuels d’une image numérique en flottement, jusqu’aux évidentes fêtes galantes d’un 18e siècle volage, le cadre lui persiste, immuable. Comme les vastes portiques de La Vie Antérieure que Charles Baudelaire décrivait, les œuvres s’ouvrent ici vers des paysages de voiles aux teintes turnériennes, aux horizons fantasmatiques. Par ces espaces incertains, la charge émotionnelle inscrite dans les tableaux de M. Vasey se pare d’accords graves, mystérieux. Se fait jour alors une peinture dans la peinture, une image qui doit s’inventer par delà ses cadres envoûtants. Eux qui nous transposent dans un récit de l’imperceptible, de celui que l’on pressent peut-être dans ces traversées intemporelles, aux enjeux résolument contemporains et à la poésie nécessaire. Comme une impression de rideaux dont on dirait qu’ils s’apprêtent à retomber.

marijkevasey.com

Louise Vendel

Détail « Still Life (bis) »,2020 fusain sur papier, céramique, palissade en bois et objets de récupération, 250 x 160 x 110 cm © Romain Darnaud

Par Sarra Ben Rached

Louise Vendel s’intéresse aux liens que les Occidentaux entretiennent avec ce qu’on appelle communément « la nature ». Après un voyage au Mexique, l’artiste commence à se questionner sur cette notion et sur notre rapport aux espèces domestiques et sauvages. Dans Still Life, il est question d’insectes, ces présences de vies très fines auxquelles on ne prête pas forcément attention. L’artiste, à travers cette installation interactive et sonore, mêle des objets de friches qu’elle récupère en gardant leur statut de déchets — sceaux, pneus, gaines, etc. — et des mauvaises herbes, réalisées en céramique, soudain fragiles et précieuses par l’utilisation de ce matériau. Au sein de chaque module, des bruissements, chuin- tements, et autres signes sonores interagissent avec le spectateur, comme si une vie s’immisçait dans tous ces objets abandonnés par les humains. Still Life invite alors à développer une sensibilité, tout en prenant conscience de son corps dans l’espace qui crée inévitablement une interaction, parfois silencieuse, avec d’autres « vivants ».

louisevendel.com

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